En publiant mon intervention au Conseil Régional d'Ile-de-France sur le budget logement, j'ai été obligé par les contraintes de temps inhérentes au débat à schématiser excessivement mon point de vue. Résultat : une incompréhension de certain(e)s internautes qui ont pensé que ce point de vue était éloigné des réalités voire techno (ces politiques, tous les mêmes, éloignés du terrain etc...).
C'est bien loin d'être le cas : toutes les semaines, je reçois plusieurs familles aspirant au logement social dans des conditions parfois dramatiques, je passe de nombreuses heures sur des problèmes d'attribution, d'échanges, de dialogues plus ou moins constructifs (c'est le cas de le dire) avec des SA ou Offfices d'HLM et nous avons en 9 ans, à Chaville, réussi à augmenter le parc locatif social de quelque 30%, en logements de très bonne qualité et globalement bien gérés. C'est précisément parce nous souhaitons faire du logement social au sens large, besoin essentiel s'il en est, un domaine d'excellence que nous cherchons à apporter de nouvelles idées et des solutions à un domaine qui en a urgentissimement besoin.
Je souhaite donc, en quelques lignes, préciser ce que je pense de l'accession sociale.
1) Comme dans beaucoup de domaines de la politique active (à distinguer de l'agitation superficielle et médiatique), les concepts sont flous. En France, il est de tradition de définir de logement social, non pas comme le bon sens le commanderait, par le niveau des loyers, du prix d'achat ou du financement acquéreur, mais par l'existence et le type de financement public utilisé pour sa réalisation. Ainsi, un logement bon marché construit et géré sur fonds propres par une SEM municipale n'est pas "social" en termes réglementaires.
2) Dans ce contexte, peut être considéré comme relevant de l'accession sociale
-soit le fait, pour un constructeur spécialisé, de construire un ensemble d'habitations en accession dont une partie seront vendues moins cher par prélèvement sur la marge réalisée sur les autres, ou sur le prix du foncier s'il s'agit d'un terrain public et que celui-ci peut être acheté moins cher (c'est devenu, suite à la politique suivie par le Ministère des Finances et qui consiste en gros à faire des collectivités territoriales les otages du marché tout en maintenant le pouvoir administratif sur elles, à peu près impossible : en zone urbaine, on épuiserait le contribuable local vu le niveu des prix)
-soit le fait, pour un constructeur HLM, de se livrer à un montage complexe mais légal consistant en substance à construire sur une base locative et à rétrocéder dans certaines conditions les logements à leurs nouveaux locataires en tenant compte des loyers versés jusqu'à l'instant X de transfert de la propriété
-soit le fait de faire proposer par l'entreprise privée, à travers ou non un maître d'ouvrage privé ou public (s'il s'agit d'un office constructeur), des constructions à meilleur marché bénéficiant de procédés de fabrication améliorés ou de marges réduites grâce à l'augmentation du chiffre d 'affaires
-soit le fait, pour des bailleurs sociaux, de revendre une partie de leur patrimoine existant à leurs locataires, soit par appartements (c'est le cas de le dire) soit en bloc. Autrement dit, on passe alors partiellement ou totalement d'une propriété sociale à une co-propriété privée ou privée/publique.
-soit enfin, en subventionnant directement ou non les crédits consentis à des acquéreurs privés remplissant certaines conditions, en vue de l'acquisition de logements privés
Toutes ces options pourraient se combiner, mais en pratique c'est assez rarement le cas, si bien que l'accession sociale est devenue, dans les faits, extrêmement rare. De plus, les "conseillers techniques" qui entourent les ministres qui se succèdent, persistent dans certains préjugés qui se traduisent par des mesures extrêmement négatives. Ainsi
- il n'est pas possible aux collectivités d'exempter les opérations de construction en accession sociale de la taxe sur le dépassement du plafond légal de densité (TPLD), ce qui serait en zone urbaine un moyen très utile de compenser indirectement le prix trop élevé du foncier, lequel est l'obstacle n°1 à la construction sociale
- les "prix de sortie" fixés par décret pour l'accession sociale à la construction étaient ridiculement bas par rapport au marché. Même après une récente réévaluation ils ne peuvent permettre à un constructeur HLM de travailler dans les zones où le prix du foncier est très élevé, c'est-à-dire précisément là où les besoins en logement social sont vitaux pour la population
-la politique de l'Etat face aux collectivités territoriales en matière de travail du foncier est, comme en matière de marchés publics, extrêmement critiquable car elle a pour résultat, alors que ces collectivités ont, au même titre que l'Etat, une mission de service public et se financent avec l'argent du contribuable, de leur rendre les opérations coûteuses et compliquées : évaluations élevées des domaines, procédures de marchés qui ralentissent à plaisir les opérations et gênent beaucoup plus les collectivités que les ententes d'entreprises, absence d'agences foncières efficaces, procédures complexes et parfois absurdes, absence de fongibilité des opérations entre bailleurs HLM, économie invraisemblable du PLI, frilosité des services de Bercy qui conduit à ce qu'il reste parfois des lignes inutilisées aux niveau des DDE qui gèrent les crédits.
-le PTZ (prêt taux zéro) a le mérite d'exister mais dans la pratique il n'a aucun impact par rapport au but recherché, car il n'apporte une ressource marginale et complémentaire aux accédants qui ont déjà réussi à résoudre l'essentiel du problème : un apport personnel suffisant pour satisfaire le banquier. C'est une bonne chose pour eux mais en termes globaux ce n'est probablement pas le bon chemin.
De mon point de vue, il faut revenir à l'essentiel avec quelques principes simples en matière d'accession
1) Malgré les rodomontades ministérielles, les faits sont têtus : la production de logements sociaux plafonne voire diminue, alors que la demande explose, tout particulièrement dans les zones très urbaines sous l'influence de facteurs concomitants (décohabitation des jeunes, nouveaux habitants, baisse du revenus réel dans une partie importante de la population la moins fortunée, divorces et recomposition des familles). Dans ces conditions, continuer "comme en 14" sur les mêmes bases paraît suicidaire si l'on veut répondre à un besoin lancinant de centaines de milliers de gens
2) Le logement HLM exclusivement locatif (système actuel) ne saurait répondre à lui tout seul à la demande pour plusieurs raisons. En effet, le logement locatif ne répond pas à plusieurs besoins qualitatifs qu'exprime chacun : besoin de sécurité (garantir ses vieux jours sans avoir de loyers à payer), besoin de liberté (j'achète mon bien et je le revends quand je veux pour acheter où je veux), besoin de garantir mon revenu (j'investis mon modeste revenu dans mon logement qui s'appréciera au lieu de le faire gérer dans des conditions aléatoires et avec de lourdes charges sur les marchés financiers, où ma retraite complémentaire se trouve déjà investie et mes économies aussi), besoin social enfin (pourquoi seuls les "riches" auraient-ils droit à la propriété du logement ?). Il répond encore moins à la demande quantitative du fait de différents facteurs (oppositions politiques, foncier et crédits insuffisants, rotation très faible du stock de logements).
Donc, il faut aussi réaliser des opérations d'accession (et non substituer un système à l'autre, comme le prétendent ceux qui ne veulent rien changer).
3) Dès lors, comment faire redémarrer l'accession sociale et que faut-il penser des différentes options évoquées ci-dessus, pour les utiliser ou non dans le "cocktail" de solutions qui est à mettre au point et à mettre à la disposition des opérateurs et du public ?
- la vente par les bailleurs de logements sociaux à leurs locataires. Pourquoi pas, si les bailleurs et leurs locataires en conviennent ? Mais cette opération est neutre par rapport à la demande générale, puisqu'il y a un logement locatif en moins, pour un logement en accession en plus. On peut toutefois penser que le bailleur peut en retirer des moyens supplémentaires pour construire ailleurs, s'il en a la possibilité. Au plan pratique, ces opérations ont du mal à se réaliser en territoire fortement demandeur et ce pour plusieurs raisons. Les bailleurs cherchent en général plutôt à vendre les parties les moins "intéressantes" de leur patrimoine, ce qui n'est évidemment dans l'intérêt des locataires. D'autre part, les copropriétés mixtes sont très difficiles à gérer. Enfin, les bailleurs préfèrent éviter de vendre des logements amortis où vivent des locataires ayant des revenus plutôt au-dessus des plafonds, car cela augmente leur risque locatif et donc menace lors équilibre financier..Conclusion : c'est marginal et ça ne résout pas le problème, même s'il n'y a aucune raison de s'y opposer et d'en priver les accédants potentiels.
- la mise à disposition de logements économiques : il s'agit d'une vieille idée depuis Loucheur en passant par les fameuses Chalandonnettes, maisons construites sur des procédés industriels etc. Bien sûr, Sous réserve de la qualité, La Palice aurait dit qu'à qualité satisfaisante il est préférable d'acheter le logement moins cher...Mais outre le fait que les grandes sociétés d'HLM réalisent déjà des prouesses dans le rapport qualité/prix, cette idée ne résout aucune des questions suivantes : quid du prix du foncier qui est le seul vrai problème à résoudre ? Pourquoi pousser les acquéreurs indépendants à se saigner aux quatre veines pour un bâti d'une qualité incertaine qui se revendra peut-être difficilement du fait d'une image marquée (cf.l'exemple des fameuses maisons Phénix) ? Quel est le rapport avec le problème de l'accédant, qui est d'avoir plus de crédit sur une durée plus longue et non, pour l'essentiel, de gérer un écart de prix de l'ordre de 10 à 20 % ?
-la mise en oeuvre d'agences foncières bénéficiant d'apports de friches, de terrains de l'Etat ou de grandes entreprises publiques qu'elles peuvent ensuite céder aux opérateurs publics ou privés : elle est utile voire indispensable. Force est cependant de constater qu'en Région Parisienne l'AFTRP, qui a cette activité dans ses attributions, ne la pratique pas. La nouvelle agence régionale qui devrait voir le jour se heurte déjà à l'opposition des présidents des Conseils Généraux du 92 et du 78 et à une certaine inertie de la part de l'Etat (ou, si l'on préfère, du gouvernement) qui en avait pourtant accepté le principe. Pourquoi ? l'argent, toujours l'argent et peut-être aussi une méfiance fondamentaliste, à droite, sur les logements locatifs sociaux qui pourraient être construits à l'initiative de la gauche. Mais s'ils étaient en accession, ces logements sociaux à réaliser, ne faudrait-il pas faire la paix en faisant passer l'intérêt des gens ( = baisser le prix de revient du foncier) avant les querelles politiciennes ? La dernière des choses à faire, c'est de prendre en otages des citoyens déjà passablement pénalisés !
-la construction neuve de logements conçus dès l'origine pour l'accession sociale est évidemment la solution la plus cohérente car elle évite les inconvénients ci-dessus et accroît l'offre de logement. Mais elle se heurte pour l'instant à des blocages administratifs qu'il faut impérativement faire sauter. La vraie raison de ces blocages est en fait plutôt ailleurs car les techniciens concernés savent très bien ce qu'il faudrait faire. Le fait est que, dans le climat actuel de libéralisme européo-mondialiste, et malgré les discours officiels prétendant le contraire, de moins en moins de fonds publics sont disponibles pour le financement des opérations.
Par conséquent, soit nous allons vers une crise sociale grave, soit il faut s'orienter vers une autre solution : le financement des taux des crédits principaux et le portage des assurances des acquéreurs aux revenus modestes et non plus le financement exclusif dans le chef du maître d'ouvrage (Entreprise sociale de l'habitat, OPAC ou autre) qui construit.
C'est possible aujourd'hui car les taux d'intérêt sont sur un palier très bas et rendent possible, à l'instar de ce qui s'est fait en Allemagne après-guerre, l'endettement sur une durée très longue (35 ans) sans que pour autant la charge soit écrasante pour l'acquéreur ou le risque trop élevé pour le banquier.
On peut penser que les organismes constructeurs pourraient (par exemple au moyen d'un orgnisme financier fédéral), prendre en charge la fongibilité du marché des produits vendus, de façon à éviter à chaque acquéreur une trop lourde responsabilité. Ils disposent déjà d'un large parc sur lequel ils peuvent jouer et jouer le cas échéant les contreparties du marché. D'autre part, une garantie pourrait être fournie à l'organisme financier prêteur qui pourrait ainsi, à risque égal, allonger les durées, baisser le taux d'effort propre de son client et diminuer le taux, dont tout ou partie pourrait être "dopée". Les bailleurs pourraient même s'intéresser, sur une base concurrentielle, à la gestion des copropriétés naissantes, que ce soit en immeubles ou en lotissements.
Pourquoi ne pas essayer d'évoluer , au lieu de conserver la foi du charbonnier dans un système qui est arrivé au bout de sa propre logique ? Cette logique, qui est de transformer aux frais du contribuable des logements conçus pour être gérés en locatif en une quasi-propriété, va finalement à l'encontre du but recherché : assurer à chacun, pendant le temps où ses revenus sont insuffisants pour se loger dans le marché, la solidarité publique pour se loger convenablement. Sur le plan social et humain, cette situation peut être jugée intéressante pour les bénéficiaires des logements.
En contrepartie, elle a trois inconvénients majeurs : en zone urbaine active, elle contraint d'innombrables jeunes ménages à des transports pénibles et quotidiens, à consacrer à leur logement en location privée des efforts financiers disproportionnés, à mettre en danger l'éducation des enfants, bref à souffrir un stress quotidien, cependant que de nombreux logements sociaux sont sous-occupés ou même occupés par des personnes titulaires d'un autre logement. D'autre part, elle réclame au contribuable, à travers l'Etat ou d'autres collectivités, des moyens financiers de plus en plus considérables que, pour diverses raisons, il sera de moins en moins à même de lui fournir. Enfin elle rend le problème physiquement insoluble, car cela supposerait que le foncier nécessaire pour construire de nouveaux logements dans des lieux suffisamment proches des lieux de travail est indéfiniment extensible.
En innovant -sérieusement- du côté de l'accession (définie autrement que par la seule revente d'un patrimoine HLM existant) , il devrait être possible d'injecter dans l'économie une nouvelle demande saine et créatrice d'emploi, de mettre fin à des injustices criantes et d'apporter un peu de bonheur à beaucoup de jeunes entrants dans notre société. Ce n'est pas la solution à tous les problèmes mais c' en est un élément essentiel. Cela vaut donc bien la peine de s'y mettre !
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