Hier soir, dès les résultats du vote assurés, la classe politique française était conviée à s'exprimer à travers les étranges lucarnes. Une fois de plus, elle a accouché, à droite comme à gauche, d'une remarquable collection de sophismes apparemment destinés à rejeter les responsabilités sur les opposants internes, l'adversaire politique et même sur les Français eux-mêmes. Nous avons largement été jugés coupables d'empêcher l'"Europe" de tourner en rond, de ne pas obéir aux "consignes" des sous-officiers ( nos militants, qu'on avait pourtant gentiment consultés !), d'être trop stupides pour comprendre nos propres intérêts ou le fait que nous sommes maintenant engagés dans une mécanique européenne irréversible (?) qui rend impossible de renégocier un traité par définition non renégociable (c'est d'ailleurs pourquoi on nous demandait notre avis !).
Les conclusions tirées sont encore plus savoureuses. Le Président Chirac, qui aux applaudissements du camp du oui avait "mis son poids dans la balance", ne semble pas trop concerné et, puisant comme d'habitude une nouvelle légitimité dans le désaveu, parle d'un nouvel élan. Il est vrai qu'avec un premier ministre à moins de 25% de satisfaits..Les premier ministrables de droite ont laissé entendre qu'avec encore plus de dynamisme et de réformes ( = plus de libéralisme N.d.T.) la France aurait des solutions (!). Les responsables de gauche ouiouistes ne sont pas mauvais non plus. Après avoir dit aux Français qui ont débattu jusque dans leur propre famille ou au bureau qu'ils s'étaient trompé de débat, on leur explique que c'est bien la droite qu'il faut combattre (comme aux européennes). Ou bien, qu'il n'y a rien à faire, puisque les carottes européennes sont cuites et qu'il est inconcevable de démentir une négociation désormais figée dans le marbre. Décidément, la psycho-rigidité semble bien être caractéristique d'une bonne partie de nos "élites" politiques : les généraux et leurs états-majors sont clairement désavoués mais, comme en 17, rejettent les responsabilités sur le poilu. Ca bloque.
Alors, que faire ? Tout d'abord, sans doute, penser à l'essentiel c'est-à-dire à la situation économique. Pendant que le processus de ratification se poursuit - et il permettra sans nul doute à bien d'autres Européens de faire entendre qu'ils veulent une politique sociale et non un cartel libéral à leur tête-, travailler à faire des propositions économiques nouvelles, s'appuyant sur une dépense publique maîtrisée, une réflexion profonde sur les moteurs de la croissance et non sur la phobie du secteur public. Après tout, Keynes était Européen !
En même temps il faut relancer l'Europe par l'action concrète et les projets nouveaux dans le monde entier et non à travers une idéologie douteuse. Il faut aussi rassurer nos partenaires et leur faire comprendre nos intentions positives. Il faut construire et reconstruire, en Europe mais aussi au-delà de l'Europe, nos partenariats logiques et naturels : lancer une reconquista intellectuelle, économique et politique devient indispensable, loin des refuges frileux de l'"exception culturelle" (exception à quoi ?). C'est là et pas ailleurs que doit résider le changement nécessaire.
Parmi les peuples d'Europe qui ont eu droit à la parole directe (rappelons que l'abstention a été très large en Espagne et qu'aux Pays-Bas, en Allemagne ou au Royaume-Uni, il faut être aveugle pour nier que la base est mécontente), les Français sont les premiers à marquer une inflexion, une volonté d'autre chose. Face à la pensée unique vendue par la droite et parfois aussi relayée par la gauche, ils ont su s'exprimer de façon massive et réfléchie. Ecoutons-les avant d'agir pour la suite.
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