Quelques lignes sur ce lundi de pentecôte, qui va voir -une fois de plus- des centaines de milliers de Français assumant sur le terrain les conséquences de l'inconséquence gouvernementale et plus généralement d'un mode de pensée de plus en plus répandu, celui qui consiste à faire systématiquement faire prévaloir, dans l'action, les considérations à court terme sur la gestion à moyen terme.
Les choses sont pourtant assez simples. Depuis que les collectivités humaines existent, elles ont coutume de prélever sur leurs membres, au bénéfice de la collectivité, une quotité d'énergie - de travail, par exemple- ou de richesse, qui n'est en principe rien d'autre que le produit direct ou indirect d'un travail. Si cette richesse est prélevée en argent, ce qui est généralement le cas dans les société modernes, il s'agit alors d'un impôt, ou d'une taxe. L'ensemble des impôts et taxes alimente les finances publiques de la collectivité, qui les utilise pour répondre, au travers du système politique, aux besoins formulés par la société.
L'un des principes des finances publiques est celui de l'universalité, qui implique en particulier la non-affectation des recettes et des dépenses. Cette règle est sage. En effet, comment prendre de bonnes décisions lorsqu'il s'agit de donner telle ou telle priorité aux besoins en fonction des ressources disponibles, si l'on se trouvait face à une collection de financements particuliers de tel ou tel article financier ? Et prendre de bonnes décisions au service des citoyens qui vous mandatent, c'est en principe le but de la politique. C'est précisément pour assurer la meilleure solidarité possible entre les citoyens jeunes ou vieux que la règle de non-affectation a été édictée.
Cette règle est particulièrement essentielle lorsqu'il s'agit de répondre à des besoins fondamentaux, prioritaires et constants. Or, si un besoin répond à cette définition, c'est bien celui de pourvoir aux besoins de la vieillesse tant sur le plan des soins que de l'hébergement. Dans des sociétés plutôt vieillissantes comme la nôtre, ce n'est pas vraiment une surprise et le fait de faire face à cette mission n'a aucun caractère conjoncturel. C'est donc dans le cadre des finances publiques générales qu'il faut travailler et non en imposant à la collectivité ce qui s'analyse comme une corvée dont la définition est, aux termes mêmes du dictionnaire "travail collectif gratuit qui était dû au seigneur ou au roi par le paysan". Si l'on remplace "roi", par "république", on y est !
En passant, on remarque que, de même que seul le paysan était astreint à la corvée, aujourd'hui seuls les salariés sont astreints au travail le lundi de pentecôte : l'injustice s'allie à l'incohérence avec les principes élémentaires des finances publiques.
Alors, pourquoi tout cela ? Probablement parce que, comme dans le cas du traité constitutionnel, le milieu politique se révèle de plus en plus incapable de résister à la pression des media, des modes intellectuelles du jour, du contexte international. Le cancer du matérialisme libéral, mal compensé par un christianisme plus conventionnel qu'authentique, ronge les meilleurs esprits, et pas seulement les plus conservateurs.
Que retrouve-t-on en filigrane de cette mauvaise décision ?
-La conviction que la dépense publique est, en elle-même, un mal qu'il faut réprimer au profit de la consommation générale. Cette conception économiquement et politiquement idiote consiste à nier des besoins collectifs prioritaires et évolutifs, à satisfaire par la société -en général, par l'état et les collectivités territoriales- pour des raisons de justice et donc de stabilité sociale. Diminuer les budgets devient ainsi une priorité en soi, indépendamment des besoins à satisfaire : comme aux Etats-Unis, promettre des baisses d'impôt devient rituel. On se soumet à la dictature d'engagements insensés au lieu de dire aux gens : si vous voulez un plus de sécurité dans le domaine A ou B, il faut accepter de le payer et nous allons, ensemble, voir comment pour le bien de l'économie et de la société en général. Bien sûr qu'il existe de la bonne et de la mauvaise gestion publique ou privée, mais cela n'a rien à voir avec le sujet.
-Deuxième problème : la gestion à court terme. Depuis des années, le Ministère des Affaires sociales, qui devrait être l'un des plus importants, vit au milieu des expédients, des traquenards budgétaires, des fausses priorités, des réorganisations incohérentes, de la démagogie par rapport à certaines catégories d'intervenants. Et il faut vraiment que le professionnalisme des personnels soit très solide pour résister à cette gestion catastrophique. Clairement, le devenir des personnes âgées n'a pas sérieusement été pris en compte en termes aussi bien quantitatifs que qualitatifs. On ferme des établissements au lieu d'en ouvrir, on supprime des lits de soins de suite alors qu'il en faut davantage, on asphyxie les hôpitaux et l'on met en place un système instaurant une "concurrence" truquée entre public et privé. La médecine à deux vitesses, qui favorise largement la satisfaction de besoins non essentiels, se met en place. A un moment donné, les conséquences telle ou telle insuffisance se traduit par un sinistre majeur ^relayé par les media et il faut réagir dans l'urgence pour avoir l'air de faire quelque chose.
-Le jeunisme ambiant, reflet d'une société qui vit au travers de ce qui est attractif et de l'obsession de découvrir de nouveaux marchés pour perpétuer la croissance par la consommation de biens substituables, tout en parlant à longueur d'antenne du développement durable..Les jeunes sont d'ailleurs ici plutôt un prétexte qu'autre chose et ils ne sont, dans la pratique, pas spécialement bien traités, c'est leur image que l'on recherche. De fil en aiguille, on en vient ainsi à considérer que la solidarité par rapport aux personnes âgées relève d'une catégorie spéciale de dépenses, relevant davantage de la charité, concept essentiellement religieux, que de la justice humaine. "Une journée pour les vieux" : pourquoi pas les troncs de la Croix-Rouge ?
Et voilà : sous la pression des media, il faut faire semblant de satisfaire urgemment, au mépris de règles de bon sens, des besoins prévisibles d'une part essentielle de la société. Au lieu de reprendre à zéro l'architecture de dépenses sociales qui sont économiquement porteuses d'emploi et de dépenses orientées vers les entreprises, on fait semblant - pour combien de temps ? - de combler un "trou" financier. Et l'on se remet dans la dépendance des media qui relaient, à juste titre, le sentiment de gâchis de l'affaire. Que le premier ministre descende ou non au-dessous de la barre des 25% de satisfaits, la question reste : quand cessera-t-on de raisonner à court terme ? Qu'il s'agisse d'Europe, de défense, de culture française, d'éducation, de laïcité, de sécurité, de développement économique, c'est tout un : il nous faut restaurer, à travers une vision historique, une autre manière de faire de la politique : s'inspirer de l'expérience, reconstruire les fondements de politiques adaptées, faire prévaloir la prudence mais aussi la créativité sur l'activisme et la bonne conscience. Mais qu'il s'agisse d'Europe ou d'autre chose, comment faire confiance aux spécialistes de l'improvisation et du court terme ?
Bon lundi quand même !