Fin 2001 : maire d'une commune, Chaville, qui est dans les Hauts-de-Seine une petite ville (moins de 20 000 habitants) mais qui serait en province une sous-préfecture, je vois l'intercommunalité progresser un peu partout en France. En région Ile-de-France, elle est encore sous-développée mais ça commence à bouger. Nous sommes en début de mandat municipal, c'est le moment d'y aller pour avoir le temps, sur 6 ans, de construire et d'expliquer.
Autour de nous, les collègues se posent aussi des questions. Deux problématiques se posent à eux : les villes qui ont beaucoup d'entreprises sur leur territoire ont certes de l'argent qui leur permet de pratiquer des tarifs bas pour de nombreuses prestations. Mais de plus en plus, elles se voient imposer des charges additionnelles qui vont au budget de l'Etat et leur richesse dépend de la conjoncture économique : gare au coup de bâton en retour car si les ressources peuvent brutalement baisser les coûts induits par une politique de prestations généreuses principalement financée par l'argent des entreprises ne peut, elle, se modifier du jour au lendemain.
Celles qui n'en ont pas ou peu se retrouvent face à une équation impossible à résoudre dans quelques années. Les exigences légitimes sans doute mais croissantes du public, les surcoûts dus aux exigences nouvelles de sécurité, les conditions de travail améliorées, les transferts de charges vers les collectivités, le coût croissant des fournisseurs et l' évolution de la masse salariale à effectif constant, tout cela crée une dérive plus ou moins incompressible de quelque 3% par an. A terme il faut donc soit tailler dans les services, ce à quoi la plupart de nos concitoyens ne sont pas prêts, soit augmenter régulièrement les impôts locaux, ce qui les motive pas davantage. Les économies de gestion sont toujours possibles bien sûr, mais pas dans un ordre de grandeur significatif et il faut donc impérativement trouver autre chose.
Face à l'inévitable effet de ciseaux que connaissent bien tous les maires, l'intercommunalité offre des opportunités intéressantes. On revient en effet, sur un territoire donné, à une cohérence alliant richesse économique et tissu résidentiel. Il est enfin possible - avec du temps - de concevoir une vraie politique culturelle, sportive, environnementale à une échelle pertinente. Face à des pouvoirs importants - l'Etat, la Région, le Conseil Général- on optimise les possibilités de retenir l'intérêt des décisionnaires pour les projets que l'on propose et, pour parler plus directement, l'effet "subventions" est amélioré. Ce n'est d'ailleurs pas illégitime, puisque lesdits projets gagnent en crédibilité. Vis-à-vis des entreprises privées, qui au travers des marchés publics exécutent une grande partie des tâches et des projets initiés par les villes, la position de négociation, en principe, s'améliore : c'est un avantage économique d'autant plus que la gestion desdits marchés est extrêmement lourde en travail et en temps, surtout pour une "petite" commune comme la nôtre. Politiquement, enfin, nous serons mieux car l'union fait la force et pour les uns comme pour les autres le risque d'être exposé aux préférences impériales diminue ; la population, et elle a raison, salue toujours l'union positive des actions de terrain. En termes de gestion enfin, l'Etat offre aux nouveaux "intercommunalisants", au travers d'une Dotation Générale de Fonctionnement (DGF) supplémentaire, la possibilité d'amortir les frais de structure supplémentaires qu'implique nécessairement la mise en place d'un nouveau système, même s'il est à terme plus performant.
Toutes ces réflexions, je me les fais et les collègues aussi. Alors on commence à se réunir en un groupe de cinq (a gang of five on dirait, en anglais !) qui travaille le sujet et recherche lui-même d'éventuels copains. Marches, contre-marches, prises de contact, discussions avec les préfet et sous-préfets : les choses se filtrent progressivement, la confiance s'établit au sein du groupe que constituent les maires de Vanves, Issy, Meudon, Chaville et Ville d'Avray. Pourquoi ceux-là, plutôt que d'autres et cette forme bizarre que constituent leurs villes sur la carte ? Pour le comprendre, il faut, comme lorsqu'on joue au Monopoly, connaître certaines règles que le législateur a fixées à un "jeu" qui n'en est pas vraiment un (je n'en cite ici que qulques-unes, n'ayant pas l'intention d'écrire une monographie sur le sujet et il y en a déjà de très bonnes).
1) Il doit y avoir continuité territoriale (même réduite à une bande de 200 m de terrain en forêt) entre les membres d'une interco.
2) C'est le Préfet qui signe les arrêtés de périmètre puis de création de l'interco lorsque celle-ci a défini ses propres règles. Son accord est donc requis.
3) Pour les agglos (Communautés d' Agglomération) , c'est la TPU qui est la règle : on met en commun la taxe professionnelle perçue par les communes membres (mais pas les împôts locaux sur les personnes) au départ et les communes apporteuses reçoivent une indemnité compensatrice (AC) qui diminue ensuite proportionnellment au fur et à mesure que l'agglo vole de ses propres ailes sur le plan financier.
4) On ne peut monter dans le train de l'intercommunalité que tous les 1er janvier !
On sait tout cela ou plutôt, on l'apprend sur terrain car nous sommes parmi les premiers dans le département. Un certain nombre de nos collègues, nous le constatons au fil des contacts, ne sont pas "mûrs" ou trouvent la mariée trop belle. De son côté, l'administration de l'Etat souhaite, pour simplifier, reproduire le schéma existant de l'arrondissement administratif de Boulogne, la plus grosse commune étant à ses yeux le chef naturel des autres.
Convaincus des avantages globaux de la création d'une intercommunalité dynamique, nous voulons créer une communauté équilibrée où, même si tout le monde n'est pas au même niveau, la démocratie existe et les rapports de force ne sont pas déséquilibrés. Sur notre territoire, en effet, la gauche et la droite sont représentées (4 maires UDF, un PRG). Deux villes (Issy et Meudon) sont importantes et trois (Vanves, Chaville, Ville d'Avray) le sont moins. Deux villes (Issy et Vanves) sont très urbaines et abritent un secteur tertiaire important, 3 sont plus résidentielles. Une ville (Issy) dispose d'une taxe professionnelle très importante, deux (Vanves et Meudon) en ont moins, deux n'en ont pratiquement pas (Chaville et Ville d'Avray). Pour pouvoir bien résoudre les problèmes du présent et du futur, nous convenons donc d'une prise de compétences très large et de principes de fonctionnement simples. Il nous faut maintenant convaincre, car le temps presse (règle 4), nos élus respectifs et enclencher le processus décisionnel qui se passe entre conseils municipaux et préfecture. Débats, discussions, entretiens à deux ou à plusieurs, tout est sondé et étudié.
Tout cela se passe en 2002. Entre Boulogne et presque tous ses voisins, le courant ne passe vraiment pas : le "leadership naturel" est contesté et Boulogne souhaite, en pratique, imposer son propre calendrier. La situation tend à se bloquer et comme l'intercommunalité doit maintenant, du point de vue de l' Etat, se mettre en place dans les Hauts-de-Seine, l'arbitrage ministériel devient nécessaire. Il en résultera que la ville la plus importante de la Région (à part Paris, qui ne joue pas) s'associera finalement avec Sèvres, qui semblait hésiter.
Coiffée sur le poteau par les Hauts-de-Bièvre (communauté dirigée par le ministre des collectivités locales et maire d'Antony à l'époque, Patrick Devedjian), Arc-de-Seine naît le 1er janvier 2003, suivie un an plus tard par Val-de-Seine (Boulogne-Billancourt + Sèvres).