L'après-référendum nous révèle bien un mal de plus en plus évident dont souffre le monde politique français, l'impuissance. On finit par se demander d'ailleurs si le déferlement des spams vantant le VIAGRA ou le CIALIS n'a pas un certain caractère symbolique !
La droite, qui est en principe au pouvoir, continue son mouvement brownien. Tel une mouche dans la bouteille, le gouvernement bourdonne, enfermé dans le court terme et le désintérêt profond du président de la République pour tout ce qui n'est pas tactique électorale. Effets de manche et galopades du résistible Sarkozy, découverte du chômage par Galouzeau de Villepin, acrobaties interministérielles de Douste-Blazy, ronde des ministres démotivés. Du côté socialiste, c'est le règlement de comptes au saloon : on s'y dispute au colt la peau de l'ours électoral devant des citoyens de gauche médusés. Les uns et les autres réagissent comme si le peuple français avait voté "oui" !
Il y a mieux à faire, je crois. Il nous faut sans doute réfléchir aux raisons profondes de l'impuissance et en tirer des conclusions pour une politique à moyen terme, raisonner pratique et non théorique pour travailler aussi dans le court terme, se donner des espaces de manoeuvre, revenir en un mot au volontarisme politique mais aussi au réalisme dans l'action, qui est bien différent du fatalisme ou de l'abandon.
Réfléchir aux raisons profondes, c'est avoir une vue synthétique des contraintes internes et externes auxquelles la France est exposée : contraintes "européennes" bien sûr mais aussi contraintes traditionnelles, idéologiques, culturelles au sens d'une certaine vision du monde. Contrairement à ce qui s'écrit souvent, je ne crois pas que ce soit le manque de "flexibilité" sociale qui soit le problème même si le comportement des syndicats n'est pas toujours exemplaire. Il s'agit d'abord, en tant que Français, de nous débarrasser de notre corset intellectuel, non d'abandonner notre libre-arbitre.
Le récent débat sur le TCE c'est-à-dire sur le mode de fonctionnement de l'Union Européenne et non sur l'idée même d'un rassemblement européen sur certains sujets, a permis d'entendre des raisonnements étonnants.
A en écouter certains, nous étions pressés, sous prétexte de mondialisation, de nous voir ravalés au rang des insectes sociaux, sur le thème : la politique n'existe plus, il n'y a que l'économie qui dirige (!) Dans cette ruche idéale, on reconnaît les voisines à l'odeur ou au toucher, à leur danse qui oriente vers la nourriture. On a sa fonction et on ne pense à rien si ce n'est à produire et à consommer...La France prend enfin sa place dans sa cellule (hexagonale, il est vrai) de la ruche européenne, où n'y a plus de chef (l'"économie" en tient lieu) et la reine pond sans cesse. De temps en temps on essaime ou on se laisse enfumer pour que quelqu'un récupère le miel. Quel progrès de ne plus penser qu' à produire et à consommer !
Il y avait aussi et il y a toujours, la ridicule recherche d'une improbable martingale économique et sociale, importée de tel ou tel pays étranger ou de l'Europe en général. Le "bench-marking" qui en soi est un bon réflexe, tend maintenant à se substituer à la pensée originale qui semble une espèce en voie de disparition dans le monde politique : que font les autres Européens, que font les Chinois etc ? La mode actuelle est au Danemark, à quand la Bulgarie ou la Turquie ? Comme le disaient nos paysans, l'herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin !
Il y a enfin l'attitude incroyable d'une bonne partie de la classe politique française qui, au lieu d'accepter un message politique fort -et commun avec celui de beaucoup d'autres peuples européens- et d'en tirer les conséquences, s'obstine dans l'erreur de classe. Il n'est que de lire la presse étrangère pour constater que loin de critiquer les Français, elle s'en prend le plus souvent à l'incapacité et à la légèreté de nos dirigeants, porteurs des défauts nationaux mais non des facultés qu'on nous reconnaît généralement : intelligence, créativité, élan, fierté nationale. Elle s'étonne qu'ils tolèrent encore une telle catastrophe à leur tête, peut-être d'ailleurs en attendant pire, si la droite reste au pouvoir.
On peut penser différemment et se dire, tout d'abord, que fondamentalement, la France est un pays (relativement) en bonne santé où le secteur privé comme le secteur public recèlent un potentiel considérable. On n'a affaire, ni à des chefs d'entreprise bridés par la bureaucratie et écrasés par l'impôt, ni à une administration incompétente et paresseuse qui coûterait beaucoup plus cher qu'ailleurs au contribuable. Finissons-en avec les lieux commmuns qui débouchent sur des raisonnements démotivants voire absurdes. Les chefs d'entreprise ne sont pas d'abord des exploiteurs, l'administration européenne n'est ni meilleure ni pire qu'une autre, les syndicats sont parfaitement capables d'être responsables, ce qui ne veut pas nécessairement dire collaborateurs. Il s'agit, tout simplement et dans l'intérêt de tous, de tirer le meilleur de toutes les forces sociales en réservant à l'Etat, bien dirigé et remotivé, un rôle proportionné et juste dans la gouvernance du pays.
Les chantiers à ouvrir sont nombreux. Education et orientation (et non seulement école), habitat et urbanisme (et non seulement logement social), politique internationale (et non seulement "Europe"), rééquilibrage de l'Etat (et non seulement vente d'actifs et décentralisation), nouveau développement économique (et non pensée unique libérale), écologie des transports et de l'énergie, solidarité internationale, expansion ( et non exception) culturelle. Les grandes problématiques doivent être remises devant le peuple, en cessant de prendre les problèmes par la queue et en utilisant les media nationaux. Faut-il par exemple plus d'impôts directs pour financer des acquis ou de nouveaux besoins sociaux comme la santé, la justice, la recherche ? Comment réévaluer le rôle social et économique des différentes classes d'âge dans la société ? Comment apporter à nos entreprises de nouveaux et solides espaces d'expansion qui sécuriseront leurs responsables au lieu de perpétuer un système d'aumônes et d'emploi précaires qui coûte très cher et qui ne sont pour eux, au mieux, qu'un effet d'aubaine ? Comment former nos élites de façon plus adaptée (très actuel, celui-là !). Retravaillés avec le concours de tous, ces grands thèmes doivent fournir une base solide pour un nouveau projet, qui rassemblerait tous ceux, et ils sont des millions en France et parmis nos amis dans le monde, qui souhaitent construire et non se griser de la magie du verbe.
Raisonner pratique, c'est saisir toutes les occasions pour avancer. Tout ceux qui, en tant que chefs d'entreprise, membres des professions libérales, artisans, cadres de l'économie ou de l'administration, élus locaux, diplomates en poste, sont au contact du terrain, regorgent d'idées et de propositions. Il suffit de les écouter, de leur donner leur chance, dans un esprit dont les Anglo-saxons ou les Belges n'ont pas besoin d'avoir le monopole. Prenons-on au hasard quelques-unes.
Dans la rue, après les 4x4, les véhicules écologiques font leur apparition (en attendant très probablement les 4x4 écolos sans transmission) : pourquoi diable l'industrie automobile et l'administration françaises n'ont-elles pas été capables, en rendant les véhicules écologique accessibles, de créer des marchés qui leur permette de préserver l'avenir, au lieu de s'enfermer dans le thermique et de laisser les créneaux les plus rentables du marché national s'éroder au profit de marques étrangères ?
La France a, pendant des siècles, été l'un des pays en matière d'urbanisme et d'architecture. Pourquoi nous sommes-nous laissés asphyxier par la monoculture du béton-roi alors que le bois, l'acier voire d'autres matériaux offrent des possibilités de développement excellentes ? Pourquoi notre urbanisme est-il souvent affligeant, à commencer par celui qui nous menace sur l'île Seguin, pas loin de chez nous : c'est la promotion qui guide le projet et non le projet, la promotion ! Ce ne sont pas les bons architectes qui nous manquent, ce sont plutôt les bons maîtres d'ouvrages !..
La grande distribution française a envahi le monde entier (peut-être est-ce finalement le Goum moderne !) et elle intervient, non seulement en grandes surfaces mais aussi en proximité. Pourquoi ne donne-t-elle pas l'exemple au quotidien, d'une gestion écologique de la consommation ? Il y les sacs recyclables, bien sûr. Mais rien n'empêcherait de référencer les marques qui incluraient, par exemple, des sanipinces dans les paquets de croquettes avec un livret éducatif sur le chien ou le chat ! L'air de rien, cela fait un joli marché et une oeuvre utile pour combattre un mal endémique, l'incivisme canin !
Nous manquons d'espaces de convivialité collective et chacun s'enferme de plus en plus chez soi ou dans sa voiture, conteste par principe le permis de construire du voisin construire du voisin, réclame des commerces de proximité tout en faisant ses courses chez Auchan ou au Casino. Mais en combattant à la source au nom des abus le tabac, l'alcool, les sucres, la pénibilité du travail, on finit par tuer ce qui sert à la cohésion sociale, à la rencontre, à la distraction (au sens classique !) dans une vie stressée et l'on génère paut-être d'autres maux pires encore. Un travail est à faire pour recréer le nouveau café et peut-être les chambres de commerce ou d'artisanat pourraient-elles se réveiller un peu au lieu de jouer les administrations privées ?
Il ne s'agit pas ici de recréer un concours Lépine -encore le grand Lépine a-t-il beaucoup apporté- mais de laisser s'exprimer la créativité au lieu de la brider. Relancer la France et la future Europe, c'est aussi faire du bench-marking qui saurait prendre aux Américains ce qui est bon : l'esprit d'aventure et d'entreprise, l'énergie, l'esprit pratique et une vision large et laisser ce qui est mauvais ou, au moins, contestable : libéralisme bidon, impérialisme, confessionalisme. Nos jeunes comme nos moins jeunes entrepreneurs ne sont pas une machine à emploi mais des créateurs d'emploi, ce qui n'est pas la même chose. Ils ne demandent pas à l'Etat la charité ou la correction d'une fiscalité qui n'est pas excessive, ils demandent à l'Etat de prendre en charge et de bien faire fonctionner les bonnes infrastructures pour leur permettre, au quotidien, de saisir toutes les opportunités pour créer une valeur ajoutée, un plus économique et social pour la société.
Se donner des espaces de manoeuvre, c'est aussi réfléchir au sens du vote du 29 mai. Le non n'est pas, malgré sa formulation négative, un vote de refus, de peur ou d'hostilité. N'oublions pas que, contrairement au "politique" qui dispose de beaucoup, peut-être de trop, de moyens d'expression, le peuple ne peut faire passer son message qu'en langage binaire par "oui" ou "non", ce qui est peu et si l'on en juge par les réactions politiques, pas assez ! Il appelle, ce NON, une réflexion sur la nécessité d'offrir autre chose et cet autre chose, c'est assez largement sans doute un nouveau projet créateur d'emploi, de sécurité mais aussi d'enthousiasme et de sens de la vie. Or le service des autres, la découverte de nouveaux espaces de création, la préparation de l'avenir et de façon générale la positivité à tous les âges de la vie, sont des valeurs essentielles. Et ceux qui défendent la généralisation d'une sous-culture apatride ou si l'on préfère mondialiste, la consommation-reine, la démolition du service public et la négation de la politique n'ont aucune chance, en France, de s'entendre dire "OUI" car il n'ont guère d'enthousisame à offrir si ce n'est celui- limité- de chanter l'Hymne à la Joie avec nos cousins européens.
L' Histoire nous apprend qu'il faut faire respirer le pays pour lui donner de nouvelles chances. Il ne s'agit pas bien sûr de recréer le colonialisme et son train de malheurs : il correspondait à une époque révolue (encore que, dans certains coins du globe..). Il s'agit de définir un certain nombre de points du monde où la France, associée à d'autres états européens ou non, pourrait créer de nouveaux pôles de culture scientifique, technique ou artistique. Des "plaques" culturelles en quelque sorte, associant des états amis en développement, nos propres territoires souvent confrontés à un avenir difficile, des états développés francophones et d'autres, volontaires pour sortir de la domination géographique. Pourquoi ne pas rêver d'une Françamérique qui, loin de cultiver des relations freudiennes avec l'hexagone, s'autonomiserait : Québec et Saint-Pierre, Louisiane, Caraïbe et Guyane pourraient avec notre aide faire bien des choses ensemble, par exemple. Reconstituer notre profondeur stratégique, à l'instar de l'Allemagne avec l'Europe centrale, est une première nécessité.
Deuxième marge de manoeuvre, la réflexion économique sur le développement durable. Il ne doit pas s'agir d'un simple habillage d'une réflexion de bon sens consistant à dire qu'il vaut mieux travailler mal que bien et que tant qu'à faire bâtir, autant que ça puisse durer qu'il s'agisse d'un service ou d'un investissement. Cela, nos aïeux le savaient déjà et nous l'avions oublié. Non, il nous faut une vraie réflexion de fond, sans préjugés, sur l'économie et son fonctionnement profond. Il nous faut redécouvrir les vrais besoins, non satisfaits, de la population. Pas seulement les besoins ludiques, occupationnels ou frimeurs mais les besoins de culture, de vrai sport, d'approfondissement, de propriété foncière, de sécurisation de l'épargne et de la fin de vie. Revenir vers l'essentiel, le profondément sécurisant et l'équilibrant. Revenir vers les vrais besoins sociaux, aussi et le rôle de la "coopérative" locale, collectivité qui apporte un service public contrôlable et mutuellement enrichissant. Cessons de prendre les gens pour des gogos : choisir entre Casino et Auchan pour acheter Nestlé ou Danone, est-ce en soi de la démocratie économique ou de l'impôt privé ? L'économie s'oriente toute seule, peut-être, mais au travers d'un gespillage insupportable de la ressource humaine et naturelle. Il est donc indispensable que l'humain n'abdique pas son pouvoir de décider et d'orienter.
Un troisième espace nous est donné, celui du bon sens. Et le bon sens nous dit qu'il vaut mieux consacrer notre énergie à des choses qui ont un sens. Or, on voit des gens s'ingénier à faire retourner la Poste ou le transport de voyageurs, services publics qui doivent certes se moderniser techniquement, financièrement et socialement mais dont la fonction même est le lien social qui doit par définition se financer publiquement, aux temps d'avant Louis XI. On voit aussi la lubie européenne se porter sur la vente forcée d'un système politique -le fédéralisme- qui n'est en soi, ni moins "nationaliste" ni moralement ou démocratiquement meilleur qu'un autre. On voit enfin la caste administrative qui nous dirige actuellement propulser un discours totalement décalé par rapport à ses propres motivations ou idéaux. Regagner cet espace d'initiative, c'est en finir avec les lieux communs qui nous sont quotidiennement assénés et travailler sur une juste définition des besoins et la manière de les traiter. Il y a quelques bon exemples sous la main : la justice, la santé, l'échange des populations avec l'extérieur ou, si l'on préfère un terme restrictif, l'immigration. Si l'on pratique cette analyse, on va aboutir à des résultats que les politiques ringardes ou impraticables, voire réactionnaires qu'on nous propose aujourd'hui, avec ou sans "Europe". Encore faut-il accepter, en contrepartie, de considérer qu'une dépense publique n'est pas, par principe, une mauvaise dépense et qu'un impôt juste et direct est la contrepartie d'un besoin social légitime. il s'agit, tout simplement, de remettre la charrue devant les boeufs.
Non, la politique française n'a aucune raison d'avoir la gueule de bois après ce référendum qui devrait au contraire une occasion pour elle de se montrer dynamique et créative. Mais en prenant les mêmes, et prendraient-ils des adjuvants, il est vrai que ça va être difficile. Gardons tout de même l'espoir, dans deux ans c'est possible, sans CIALIS ni VIAGRA !