Romain CARAYOL, de Vaucresson, nous livre son analyse du vote du 29 mai. Elle est intéressante par son contenu, bien sûr mais aussi parce que son auteur fait partie d'une génération jeune et active. Une preuve de plus que le NON ne mérite pas la ridicule caricature qu'en font certains, qui se caractérisent surtout par une surdité persistante aux aspirations profondes des Français et de beaucoup d'autres Européens.
Leçons et perspectives du 29 mai 2005
Ce 29 mai, 55% des Français ont répondu non à la question posée par référendum, quant à la ratification du Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Retombées les scories de ce séisme, il faut remettre notre ouvrage sur le métier et recommencer à avancer. Mais avant, analyser les causes et conséquences de ce scrutin.
Pourquoi le Non a-t-il largement vaincu ?
D’abord parce que ce texte n’était que très difficilement compréhensible, trop complexe, trop technique, trop long, trop mal présenté.
Parce qu’il ne portait aucun projet, ou plus exactement, que ce texte de compromis portait plusieurs projets différents et incompatibles. Issu d’une longue négociation entre les 15 membres de l’UE, à laquelle les 10 nouveaux entrants ne participaient théoriquement qu’en spectateurs, et construit comme une juxtaposition d’articles et annexes destinées à satisfaire chacun, il n’en résultait plus aucune perspective intelligible. Ce flou artistique explique les divergences d’appréciations exprimées pendant la campagne.
Parce que cette constitution ne pouvait, en conséquence, faire rêver qui que ce soit. Le rêve était pourtant le principal ressort de la construction Européenne : utopie devenue réalité, rêve de paix, de prospérité, de cohésion sociale.
Sans projet intelligible, sans rêve, il ne pouvait y avoir d’adhésion.
Mais le Non l’a aussi emporté parce que la campagne du Oui a été cacophonique, peu ou mal argumentée, parfois méprisante. La campagne du Non n’a pas été meilleure, il faut le reconnaître. Il est vrai que les quelques ténors du Non, en dehors des extrêmes, se sont souvent abstenus de commentaires, leur parti s’étant prononcé pour le Oui. On a donc plus entendu Mme Buffet et M. de Villiers, que les partisans modérés du Non.
Le Non l’a enfin emporté parce que les Français ne pouvaient se reconnaître dans les processus d’élaboration ni de ratification. Une convention hétéroclite nommée et non élue, une procédure de ratification différente selon les pays, étalée dans le temps. Ces principes sont loin de nos traditions républicaines : ce n’est pas ainsi qu’un peuple se dote d’une Constitution, du moins en France. Passe encore, que pour un traité, les dirigeants fassent des entorses aux règles au nom de l’efficacité, mais tout de même, une constitution, c’est une autre affaire. Et puisque pour une fois, on lui demandait de bénir un texte, le peuple a saisi l’occasion de s’exprimer.
Mais qui a voté Non ?
Deux analyses complémentaires réalisées par les instituts de sondages, montrent que les extrêmes et les souverainistes sont restés semblables à eux-mêmes, à droite comme à gauche. Les milieux modestes, ouvriers et employés, agriculteurs, sont stables aussi quant à leur rejet de
Ils ont logiquement voté Non, mais ils ne représentent que 30 à 40 % de l’électorat. Ce qui a évolué massivement, entre Maastricht et le 2005, mais aussi entre l’automne 2004 et le 29 mai 2005, durant cette longue campagne, c’est la gauche sceptique, les 42 % de militants PS, les 62% de sympathisants PS, les 40 % de militants Verts, les 33% de militants PRG, les cadres supérieurs et professions libérales, les jeunes. Ceux là ont fait défaut alors qu’on les pensait initialement partisans du Oui. Ceux là sont des Européens convaincus mais refusent que l’Europe suive le chemin qu’elle a emprunté depuis Maastricht. Ceux là représentent 15 à 25 %, et ce sont eux qui ont fait pencher la balance. Ils sont nombreux et doivent donc être écoutés, compris et pris en considération, d’autant plus que ce sont des électeurs de gauche en grande majorité.
Se sont-ils trompés ?
Non puisqu’il y a eu une campagne longue, passionnée, suivie, et une participation exceptionnelle bien que toujours insatisfaisant. De tels débats sont de ceux qui donnent envie de faire de la politique : le pays et l’Europe en ont besoin, de ces débats. De surcroît, le Non n’a pas provoqué de crise : c’est au contraire parce qu’il y avait crise en Europe, qu’il y a eu le Non. Ce doit être l’occasion de révéler la crise et de remettre l’Europe sur les rails.
Mais surtout, l’heure n’est plus à la recherche de coupables, à la chasse aux sorcières, ni même aux débats sur le texte. Il a été rejeté par le peuple souverain, il faut maintenant prendre acte de ce rejet, en comprendre les ressorts et trouver le moyen de rendre cette crise bénéfique pour l’UE.
Il faut utiliser le Non et ne pas tenter de faire comme s’il n’avait pas existé.
Bien sûr il eut été plus confortable de ratifier le traité et de continuer comma avant, ou de sortir un plan B tout ficelé et acceptable par tous. Mais la première hypothèse est une option que nous n’avons plus, et la seconde était évidemment une illusion : ceux qui auraient dû imaginer et préparer ce plan B, Chirac et ses conseillers, ont visiblement aussi bien prévu cette issue, qu’ils avaient compris les réticences des partisans du Non (voir le « je ne vous comprends pas » du Président face aux jeunes lors de sa première émission télévisée).
Répondre à la crise de représentativité
Il n’y a pas un unique plan B mais plusieurs possibilités. Il nous appartient de faire advenir celles que nous voulons. A nous militants, mais aussi et surtout à nous citoyens, car s’il est une leçon à retenir de ce scrutin, c’est que les citoyens ont repris la parole ; contre toute attente, ils ont rejeté la voie préconisée par les partis dominants, et par l’essentiel des media. C’est un déni de confiance pour les partis qui se sont engagés en faveur du Oui, au premier rang desquels PS, UMP, UDF et Verts dans une moindre mesure. Le système de représentation de la Vème République a permis que ces partis, dominants au parlement, dans toutes les instances de décision et dans les media, soient mis en minorité par les citoyens sur une question majeure.
Il y a lieu de tirer deux conclusions, de ce triste constat :
- la nécessité de réformer les institutions de la construction Européenne
- la nécessité de reprendre
A- Il faut une constitution
Ce débat est sain et nécessaire, on ne peut continuer à construire l’Europe sans le peuple. Elle s’apparente à un monstre si on n’a pas d’abord clarifié à quoi on voulait qu’elle serve, et pour qui on la construisait.
B- Cette constitution doit rester au niveau des objectifs, valeurs et institutions.
Elle ne doit pas s’aventurer sur les domaines politiques. Ces derniers doivent rester de la responsabilité des Etats, qui peuvent mettre en commun des compétences politiques dans le cadre de traités afin de conserver la souplesse nécessaire, autant au niveau Européen qu’au niveau national. Peut on admettre qu’une Europe majoritairement à gauche, impose une politique de gauche à un pays majoritairement à droite, ou vice-versa ?
C- Cette constitution doit avoir l’onction de tous les peuples d’Europe.
Ce n’est pas une convention nommée mais des élus mandatés à cet effet, qui doivent élaborer la constitution. Ce doit être l’enjeu des prochaines élections Européennes.
Pour réconcilier l’UE avec ses peuples, nous devons cesser de forcer la main à ces derniers.
La politique se grandirait en repartant des aspirations des peuples pour fonder sa légitimité. Force est de constater que les évolutions de la Vème République en France, et des derniers traités en Europe, l’en ont éloignée. A ne pas vouloir prendre en compte cet état de fait ou à l’accepter, nous irions droit à un rejet plus violent que ceux des 21 avril 2002 ou 29 mai 2005.
Cette organisation de textes, objectifs figés dans la Constitution et politiques évolutives négociées par traités, peut permettre une harmonisation fiscale vers le haut alors que la constitutionnalisation des traités politiques antérieurs l’aurait certainement tirée vers le bas. Le seul dénominateur commun tangible des ambitions des pays membres en 2005 était l’extension du domaine de la concurrence et l’affaiblissement des Etats, d’inspiration nettement néolibérale. Replacer ces leviers d’action politique au niveau national, permettra de rendre cette nécessaire autonomie aux Etats. Chaque membre étant à nouveau libre de mener une politique de gauche, de droite ou d’ailleurs, les comparaisons seront possibles et l’importation des méthodes qui fonctionnent permettra une émulation bénéfique. Surtout, les peuples reprendront la main sur leurs destins nationaux et Européen. Chacun avancera à son rythme, en négociant et ratifiant les traités, mais aussi en transcrivant les directives Européennes.
Par