Les récents éclats de la pré-campagne présidentielle à gauche, mais aussi à droite, font ressortir une vieille question qui mérite toujours d’être posée. Les femmes et les hommes politiques doivent–ils d’abord leur loyauté à leur parti ou à leur pays ?
Cette question, beaucoup de Socialistes se la posent sans doute, après avoir entendu des extraits du débat « animé » qui a mis aux prises leurs principaux leaders. Qu’ils se rassurent, ils ne sont pas les seuls. Il y a aussi des membres de l’UMP qui s’estiment toujours Gaullistes et qui ont du mal à redécouvrir le grand Général chez le petit Nicolas ou Chirac le Tacticien. Il y a des Communistes qui ont du mal à redécouvrir l’idéal populaire chez des syndicalistes professionnels. Même à l’UDF, il y a des états d’âme devant le cavalier seul de Bayrou et la cohérence d’icelui par rapport à son parcours passé.
Et moi, qui suis Radical de gauche, je m’interroge pose aussi car j’estime qu’un vrai radical-socialiste est souvent plus socialiste qu’un social-démocrate. Et quand je vois ma propre formation, à laquelle j’adhère depuis 25 ans, en arriver à promouvoir une « constitution » chrétienne démocrate assise sur un concept économique, à faire de Bernard Tapie un porte-enseigne et à laisser passer au Sénat un amendement obligeant les communes à financer des écoles privées intégristes, je m’en pose aussi, des questions !
Les partis ont leur utilité. Si l’on pouvait s’en passer, cela se saurait. Ils permettent au militant ou à l’homme politique de n’être pas seuls et de pouvoir ainsi tenir la distance dans un combat dur qu’ils mènent souvent leur vie durant. Ils permettent à la "Bourse aux idées et aux politiques" d’exister et de réaliser ainsi l’arbitrage des volontés contradictoires ou incertaines des électorats. Ils réalisent ou devraient réaliser une sélection positive du personnel politique, permettant aux meilleur(e)s de se mettre au service du pays. Ils permettent ou devraient permettre au débat de se formaliser pour mieux exister aux yeux des Français.
Mais comme la langue d’Esope ils représentent aussi bien le Pire que le Meilleur. Lorsqu’ils deviennent prédominants, lorsque leurs adhérents oublient de relativiser, ils perdent toute modestie. Ils transforment les débats d’idées en débats de personnes. Ils pratiquent la sélection à rebours en imposant les critères de la politique politicienne en leur sein même ou en pratiquant un casting fondé essentiellement sur des critères financiers ou tactiques quand ce n’est pas pire encore. Il leur arrive de passer au plus haut niveau des accords sous-marins qui vident le mot même de politique de toute signification. Comment peuvent-ils alors s'attendre à être crédibles ?
On a même vu récemment les deux principales formations, théoriquement opposées, déléguer en chœur des Fédéralistes pour représenter la France à la Convention Européenne. Comme il fallait s’y attendre, les intéressés en ont largement profité pour défendre leurs idées à eux et non les intérêts de leurs propres concitoyens. Comment démontrer de façon plus évidente que l’esprit de parti l’emporte en ce moment, chez certains, sur la fidélité générale à la Nation ?
Le vote des militants –même pas celui de leurs propres sympathisants- est devenu beaucoup plus important aux yeux des partisans que celui des Français. Ce qui leur importe, c’est l’allégeance à une étiquette, voire à une caste. Ce sont souvent les mêmes en effet, qui en tant que hauts fonctionnaires vantent les mérites du Marché sans songer un instant à démissionner de la Fonction Publique et à en perdre les avantages, qui ne voient plus en la Corse qu’une source de problèmes ou qui sont pour la taxation indirecte, la plus injuste qui soit. Et pour eux quand un dirigeant connaît un échec, c’est le peuple ou les autres partis qui ont tort, ce n’est pas lui qui s’est trompé ! Quelques soirées électorales à la télévision nous ont montré à quel point cette attitude arrogante, insupportable même, se généralisait.
Il est sans doute temps de revenir de tout cela et de se souvenir que ce qui compte pour un vrai "politique" c’est d’abord l’adhésion du pays et une fidélité profonde à la Nation, Cela n’exclut d’ailleurs nullement un intérêt pour le travail sur l’Union Européenne (à ne pas confondre avec l’« Europe » s.v.p.) à condition qu'il n'éclipse pas tout le reste.
Le Parti c’est bien, c’est utile mais finalement c’est quoi ? C’est souvent devenu un rassemblement de gens qui à l’instant T mais souvent en petit comité s’autorisent, comme le disait Coluche, à s’autoriser des choses. Et il est frappant de constater que l’allégeance absolue au Parti ou au vote des militants réclamée par certains va de pair avec la très forte incertitude idéologique qui règne aujourd’hui, on l’a vu, dans la plupart des formations et la perte des repères par rapport à une tradition historique qui devrait, précisément, servir d’ancrage. Il faut être fidèle aux idées, mais plus personne ne sait au juste lesquelles !
Dès lors, la prétendue fidélité au Parti ne peut, dans les faits, que tourner à l’allégeance aux clans et aux factions, au travers de "lignes" à court terme soi-disant imposées par les militants mais en réalité surtout par les responsables de puissantes fédérations et qu’on a su "convaincre". Et lorsque la "ligne" ondulante du Parti s’oppose à l’onde majoritaire des sympathisants, confortée de celle de l’ensemble des Français, c’est un mascaret politique qui se déclenche et sur lequel bien des bateaux peuvent se retourner.
Alors, restons cohérents, gardons nos repères. Choisissons la liberté d’esprit, la solidarité avec l'ensemble de nos compatriotes et le travail sur des projets concrets dont il a le plus urgent besoin. Refusons l’asservissement à des lignes incertaines voire inexistantes. Il se révèle souvent n’être, derrière les mots creux, que de la manipulation au service d’ambitions personnelles, qu’elles soient présidentielles ou autres.
Alors, sans mépriser les partis et même en y adhérant, ne leur accordons ni mérites, ni fidélité absolus car ils ne sont qu’un moyen de la politique et non une fin. Restons nous-mêmes, et peut-être reconquerrons-nous la crédibilité de la politique dans l'esprit des citoyens.