La France est aujourd'hui l'un des pays les plus riches de la planète : riche en argent, riche en culture, riche en traditions et avant tout, riche de ses femmes et de ses hommes. Mais si l'on écoute le discours ambiant, nous sommes pauvres. Pauvres en imagination, pauvres en solutions pour motiver les entreprises et les services publics et de plus en plus, pauvres aussi en démocratie et en égalité. La priorité d'aujourd'hui n'est pas d'éduquer nos jeunes et de répondre aux attentes des citoyens, elle est de fouetter la consommation, de libérer la concurrence, de diminuer les dépenses publiques. Tant mieux pour ceux qui s'en tirent, tant pis pour les autres. Le bel idéal !
Au lendemain de quelques nuits qui sonnent le glas de notre manière d'éduquer et du système de fausses valeurs largement voire totalement matérialiste que certains cherchent à nous imposer à l'échelle du pays ou à celle de l'espace européen, comment reprendre la bonne piste et rebâtir ?
Si les mots on encore un sens en français l'enfant, l'adolescent ou même le jeune ne sont pas des adultes, des citoyens "parfaits". Ils ont besoin, pour le devenir, d'éducation. Ils ne s'auto-éduquent pas, ou tout au moins ils ne peuvent le faire que très partiellement. Il leur faut donc un cadre plus ou moins souple qui leur assure un développement optimum. La société doit leur assurer ce cadre.
Quels en sont les acteurs ? Les parents, d'abord, au travers de leur exemple, de la régulation de la vie en famille et des moyens éducatifs qu'ils organisent. La collectivité, ensuite, au travers des crèches, de la maternelle, des centres de loisirs, des écoles mais aussi et c'est très important, de l'environnement éducatif de ces pôles. Assistantes maternelles, ATSEM, surveillants, équipes éducatives spécialisées oeuvrent au quotidien pour l'éducation des nouvelles générations de Français. Sous bien d'autres formes l'Etat, agent garant du fonctionnement politique de la Nation, peut lui aussi intervenir. L'administration de la Justice par exemple, n'est pas là seulement pour sanctionner mais aussi pour protéger et aider. Mais il y a aussi de nombreux autres agents éducatifs comme les mouvements de jeunesse, les associations sportives et éducatives. L'enseignant enfin, dont la mission principale n'est pas d'éduquer mais d'enseigner, contribue cependant, à travers l'enseignement à éduquer. Quant aux media il peuvent, suivant les cas et l'usage qui en est fait, contribuer à l'éducation ou à la déséducation.
Or que constate-t-on ? Depuis des années, la même philosophie du court terme, de la démagogie politique, de l'argent-roi et de la consommation-reine, sévit en France comme ailleurs. Alléguant les nécessaires économies (!) ou d'autres priorités, on a lentement démoli les cadres éducatifs et l'environnement normatif des enfants, des adolescents, des jeunes et même des adultes.
A force considérer que l'éducation (Instruction Publique rebaptisée Education Nationale) ne se faisait qu'à l'Ecole, on a laissé croire aux familles et en particulier aux moins favorisées que c'étaient les enseignants qui portaient l'essentiel de la responsabilité éducative. C'est dans cette logique que les mêmes parents qui sont prêts à poursuivre en justice un enseignant pour une pichenette donnée à leur enfant laissent aujourd'hui quartier libre à de jeunes mineurs jusqu'à des heures avancées du soir ou les encouragent objectivement à être violents à l'école. Et ce, dans un contexte où les décompositions-recompositions de familles sont devenues quasiment monnaie courante et où les problèmes d'emploi et de logement risquent souvent de faire du jeune un laissé pour compte de la vie quotidienne.
L'Education Nationale elle-même a souvent perdu ses repères. Pendant que les enseignants "rament" dans des conditions souvent difficiles, on "économise" non sur une administration pléthorique mais sur des postes essentiels : assistantes sociales, infirmières et surtout surveillants et accompagnants dans les écoles. Sur des sujets que le même ministère maîtrise mal, par contre, comme l'orientation, il s'obstine à vouloir garder seul la main alors que les collectivités territoriales et les entreprises pourraient y jouer un rôle beaucoup plus positif et efficace que lui en direction de la priorité essentielle : l'insertion des jeunes, dès que possible dans un emploi qui leur convienne, qui existe mais qui permette un parcours professionnel ultérieur. Est-ce un pur hasard si les jeunes pyromanes s'attaquent particulièrement aux écoles ?
L'absence de plus en totale de toute politique d'éducation globale au niveau de l'Etat (et non de pseudo-réformes ne concernant que le seul ministère de l'instruction publique) l'a conduit à se désintéresser de plus en plus du monde associatif, à l'exception qui n'en sera peut-être bientôt plus une, des associations dites d'insertion. Or, les associations éducatives non ciblées sur un public particulier présentent l'immense avantage de pouvoir accompagner l'éducation parentale au choix des parents. Ce n'est pas un hasard si elles avaient fleuri dans l'après-guerre, à une période difficile où chacun reconnaissait la nécessité de partager la charge éducative et non de se défausser de cette tâche pour de bonnes ou de mauvaises raisons.
De façon plus générale, on a rogné sur tout ce qui pouvait aider à conserver au quotidien le sens de l'effort gratuit, le respect d'un certain nombre de normes et à favoriser la cohésion sociale. Suspension sine die du service national par la Droite avec la complicité passive de la Gauche, disparition des gendarmes en milieu urbain (alors qu'on entend aujourd'hui certains maires, même de gauche, réclamer l'intervention de l'armée en phase d'émeutes !), impasse sur les émissions éducatives à la télévision alors que la même télévision, refuge alternatif à la rue des jeunes en déshérence précoce, déverse par tonnes les messages violents ou matérialistes. Quant à la politique de la ville, jusque très récemment, elle niait le principe de prévention et ne s'intéressait, pour simplifier, qu'aux zones où il était déjà trop tard. L'incohérence s'allie au manque de réflexion. Ainsi, supprimer la gendarmerie et la police de proximité, revient à identifier l'ordre public avec la BAC et les CRS, autrement favoriser la connotation négative de l'ordre public : excellente éducation du public !
Côté urbanisme, c'est le zéro pointé. Alors que les conditions de vie sont l' un des principaux pourvoyeurs de problèmes sociaux, la gestion urbaine est clairement "plantée". La tendance européo-matérialiste actuelle a carrément fait une croix sur toute forme de planification nationale et elle s'en vant aux applaudissement des naïfs. Or, en milieu urbain c'est-à-dire là où les problèmes se posent, le mille-feuille politique de la décentralisation rend l'initiative de la requalification urbaine très difficile. Or, la densité mal répartie génère nécessairement, dans le système actuel de gestion du logement social auquel personne ne veut toucher, la guetthoisation. Il serait peut-être possible d'humaniser tout cela en laissant davantage de pouvoirs et d'initiative aux collectivités territoriales. Mais personne ne veut en entendre parler. Mieux vaut être assuré, semble-t-il, du retour des flambées que de risquer l'hypothétique abus de pouvoir ponctuel d'un hiérarque local !
Alors, que faire ? Tout d'abord, se rendre compte que les outrances verbales, nous venons de le vivre, ne mènent à rien et qu'elles jettent de l'huile sur les feux même s'il serait injuste d'imputer l'origine même des problèmes à leurs auteurs. Tout aussi illusoire et dangereux est l'angélisme qui attribue tous les torts à "la société" et tend à expliquer les violences des uns par l'insatisfaction des autres, immensément plus nombreux. En fait, tout compte au niveau des causes et donc il faut s'attaquer à tous les problèmes. Cela passe nécessairement par un catalogue d'actions à court, moyen et long terme, si possible hiérarchisées, bref par un plan politique large qui accepte la remise en cause des tabous. Difficile entreprise en ces temps de court terme, du matérialisme européen et de pensée unique !
La première chose à faire est sans doute de restaurer, aussi bien à l'école que dans les administrations, une philosophie très simple que les parents et les jeunes puissent comprendre et assimiler : celui ou celle qui pratique la solidarité sociale et l'effort en est récompensé(e), celui ou celle qui n'en fait rien n'est pas particulièrement aidé et celui ou celle qui, de façon consistante et volontaire, ne respecte pas la santé, le bien ou l'intégrité physique des autres, désavantagé. Cela a l'air évident mais dans la pratique le système tend aujourd'hui exactement à l'inverse. Ce sont les voisins des fauteurs de troubles qui doivent déménager, les enseignants risquent davantage les poursuites que les agresseurs en classe, les jeunes travailleurs rament davantage pour vivre que les oisifs et l'argent des trafics est blanchi du moment qu'il sert à payer les loyers, les Nike ou la voiture. La société commerciale est, en quelque sorte, une receleuse. Les forces de l'ordre doivent être vécues par tous comme une protection et non comme une menace. Il est donc urgent de revenir à la proximité, à l'implantation locale et à la mixité culturelle et géographique des corps, qu'il s'agisse de police ou de gendarmerie.
La seconde, c'est d'encourager l'effort gratuit, la vraie mixité sociale, une laïcité qui ne soit pas teintée d'hypocrisie. Les conséquences en sont d'abord, la remise en activité d'un service civique universel, fondamentalement non destiné à un usage militaire mais orienté sur le service solidaire à travers tous les ministères et ouvert sur l'international. C'est l'occasion aussi bien de battre en brèche les préjugés, d'apprendre le respect de l'autre sexe et de l'âge, le respect du travail que de rebâtir l'esprit républicain. Ensuite, il faut réaliser un véritable effort d'urbanisme qui ne soit pas du replâtrage. L'inévitable conséquence en est la remise en cause non du système d'attribution des logements sociaux mais de leurs principes de gestion. En particulier, il faut travailler dans trois directions : la construction de logements neufs en accession sociale et pour les jeunes, l'introduction du principe de baux sociaux 3-6-9 renouvelables automatiquement si les conditions de ressources et de bon voisinage sont respectées, le travail déjà largement entamé non seulement sur la qualité des logements mais sur celle de leur environnement : on ne respecte qu'un environnement digne.
Enfin, il faut stopper la dangereuse tendance à faire aujourd'hui de l'Islam pratiqué normalement le principal ennemi de la laïcité : la vraie laïcité ne repousse pas les religions ni même leur enseignement mais elle refuse de leur déléguer l'enseignement. Or, sous couvert parfois de chrétienté ce sont, finalement, les "valeurs" matérialistes imprégnant la politique des gouvernements et la vie en société d'aujourd'hui que les "jeunes" cherchent aujourd'hui à repousser et la religion peut leur servir de prétexte ou d'appui sans être pour autant à l'origine de leur "combat". On ne combat pas une réaction fondamentalement saine même si elle est exploitée ou donne lieu à des excès, par les menaces, les replâtrages ni par la distribution de sucres mais en répondant aux aspirations exprimées.
Le ministère de l'Education Nationale -qu'on ne doit sous aucun prétexte confondre avec le corps enseignant- doit se réformer en profondeur et accepter l'intégration de ses efforts à ceux de la société et des collectivités. De lourdes erreurs y sont commises quotidiennement en matière d'"orientation" des jeunes, de priorités budgétaires, de longueur des cursus éducatifs, du rôle de l'enseignement technique et sur bien d'autres sujets comme la stabilisation et la valorisation des postes d'enseignants ou de directeurs et l'encadrement des élèves dans les lycées et collèges. Les associations de parents d'élèves ne posent pas forcément toujours les bonnes priorités et elles doivent, elles aussi, accepter de voir leur politique, non leur rôle, remis en question. Un Grenelle intellectuel du monde éducatif permettant à l'ensemble des acteurs de l' Education (et non des usagers du ministère qu'il faudrait d'ailleurs rebaptiser Instruction Publique) de s'interroger puis de proposer à l'Etat de nouvelles lignes de force éducatives serait probablement une bonne, voire indispensable démarche.
Quant à l'emploi, c'est d'abord par les entreprises qu'il est à créer. Mais c'est se faire des illusions, dans le monde que nous vivons aujourd'hui et que nous acceptons globalement, que de penser que les entreprises embauchent sur la base de primes gouvernementales, quelles qu'elles soient. Par contre en stimulant vigoureusement la recherche, les grands chantiers nationaux et internationaux qui présupposent une forme de planification, la requalification urbaine et de façon générale les investissements durables, on rentabilise l'argent public parce qu'on initie l'emploi. De traces de tout cela dans la politique gouvernementale, on ne voit rien, au contraire ! L'obsession de baisser les impôts de quelques-uns et de réduire la "dépense publique" au petit bonheur et aux dépens des ministères les plus faibles et les plus utiles gomme tout.
Un dernier point, et il est essentiel : en cassant systématiquement toutes les occasions de vivre ensemble, en refusant de remettre en cause des systèmes ossifiés qui ne fonctionnent plus ou très mal, en s'attaquant aux bons côtés de l'Etat sans en éliminer les défauts, en s'obstinant à valoriser un système économique qui par définition est une chose et non une idée ou a fortiori une valeur, on accroît progressivement le fossé entre les nouveaux ou les futurs Français et les anciens et l'on crée, lentement mais sûrement, un profond sentiment d'injustice qu'il est tentant et parfois justifié d'assimiler à du racisme. Dès lors, la boîte de Pandore est ouverte et tout peut en sortir.
La France, comme souvent, est en avance dans les difficultés sur ses partenaires européens, peut-être parce qu'elle assimile de façon plus rapide mais plus heurtée la richesse humaine qu'apporte son ancien Empire. Elle dispose cependant d'atouts maîtres qu'il nous appartient de faire valoir : l'idée laïque et républicaine, la culture de notre langue, la place dans le monde de notre pays. En nous appuyons sur eux, sachons faire vivre un vrai changement, qui n'a rien à voir avec le libéralisme en peau de lapin européen prôné par d'anciens hauts fonctionnaires. Si nous voulons prendre au sérieux les avertissements qui nous sont donnés, c'est la condition d'une évolution positive, qui bénéficiera à tous.
Pour aller plus loin, je vous invite à lire en ligne le chapitre sur l'éducation de mon livre !