Les nuits chaudes des dernières semaines ont eu le résultat habituel. Entre partis, on a échangé les mêmes lieux communs et il est à craindre que les problèmes de fond ne soient bien vite enterrés. On a laissé tranquilles les vaches sacrées, comme l' urbanisme, l 'orientation scolaire et professionnelle des jeunes, le mode de gestion des HLM, le racisme ambiant, le côté beaucoup trop abstrait de la vie politique ou les budgets de la Justice. Inévitablement, les boucs émissaires traditionnels comme l'immigration, le soi-disant laxisme social de la Gauche ou la politique réactionnaire de la Droite ont été chargés d'anathèmes et expédiés au désert. Conséquence : le retour prévisible d'évènements qui, au travers d'actes irresponsables commis en très large partie par des mineurs, sont aussi un vrai cri d'angoisse de très jeunes Français devant la vie qui les attend.
Pourtant, que faire concrètement, dans un département qui a des moyens, pour travailler à empêcher ce retour ? Le sport semble bien être, au travers d'une politique rationnelle l'un des vecteurs essentiels du combat pour une bonne "entrée en société" de jeunes qui sont les nôtres et incarnent une force positive considérable qu'il nous appartient de laisser s'exprimer à leur bénéfice comme à celui de la société.
Quelles autres opportunités de socialisation des jeunes, d'"entrée en société" existent, ou existaient en effet, en dehors du sport, répondant à la double exigence d'exercer le corps et de le mettre au service d'un comportement social, en dehors de la violence ?
Le service national, quelles que soient ses imperfections, était une opportunité essentielle de brassage social, de prise de responsabilités et de structuration de la personnalité. Il était aussi, pour les jeunes hommes, une forme de rite initiatique pour l'entrée en société, tout spécialement pour les jeunes Français d'origine étrangère. Il ne s'appliquait pas à la population féminine et a été suspendu. Les mouvements de jeunesse ont vu leur présence se rétrécir et n'ont pas toujours su asseoir leur action, souvent d'inspiration confessionnelle, en milieu urbain et auprès de populations d'origines raciales et/ou aux références religieuses différentes de celles de la majorité autochtone. Ils restent pourtant une opportunité unique pour le jeune de pratiquer une éducation sociale, solidaire et physique tout en échappant provisoirement aux difficultés du quotidien ou à un environnement parfois oppressant. L'Education Nationale s'obstine, par rapport aux activités culturelles et sportives, dans une vision linéaire qui en fait des disciplines d'enseignement, sans intégration réelle avec les activités de même nature, essentiellement confiées aujourd'hui aux collectivités territoriales. Par ailleurs, elle a largement abandonné -sauf dans des établissements "d'élite" réservés en pratique aux couches sociales les plus aisées- le principe, pourtant très valorisant, de l'émulation républicaine. Enfin, elle pratique assez souvent des formes d'orientation très contestables par rapport à des jeunes défavorisés par leur environnement social mais non par leurs capacités, en appliquant des critères de sélection négatifs ou non pertinents nourris par de tenaces préjugés.
Dans ce contexte, le sport reste le principal vecteur éducatif complet, apportant sous réserve de pratiquer les disciplines convenant le mieux aux jeunes, dans un cadre suffisamment large et avec un encadrement professionnel et bénévole de grande qualité humaine, une dimension éducative essentielle à des jeunes privés partiellement ou totalement de repères sociaux efficaces. Il peut apporter, au travers du parcours social des meilleurs, une exemplarité qui reste au travers de l'instinct d'imitation, un facteur essentiel de progrès personnel. Il intègre le travail associatif, lui aussi facteur de brassage et d'intégration raciale. Il utilise des lieux par définition conviviaux et rassemble autour d'événements partagés. Ni les jeunes ni les entreprises ne s'y sont d'ailleurs trompés, puisque les exemples les plus récents de crédibilisation du modèle politique français se sont pratiquement tous produits dans le domaine sportif et que c'est très largement au travers du vecteur sport que les entreprises capturent le marché des jeunes.
Une collectivité territoriale bien identifiée, disposant de moyens importants et de compétences connexes, à caractère scolaire (collèges) ou sociales, dispose donc d'une opportunité exceptionnelle de faire avancer les objectifs sociaux que de nombreux élus, indépendamment de leur sensibilité particulière, partagent et qui sont bien entendu au coeur de l'idéal associatif. Qu'en a-t-il été dans les Hauts-de-Seine, qu'en est-il aujourd'hui et que faudrait-il faire maintenant ?
La présidence précédente dans les Hauts-de-Seine mélangeait souvent le pire et le meilleur et pratiquait plus souvent qu'à son heure une politique de "coups" avec tout ce que cela implique. Dans le domaine de l'action sportive cependant, le bilan était largement positif. Si des moyens importants, souvent en dehors de l'initiative des responsables politiques ou techniques du sport d'ailleurs, avaient pu s'égarer sur des objectifs discutables, des initiatives très intéressantes avaient été prises.
Il n'est pas ici dans notre propos de nous attarder sur les objectifs douteux ou insuffisamment articulés et généralement inconstants. C'est de toutes façons très largement du passé. On se bornera à rappeler quelques sous-titres comme Jardy, le Tour de France ou le Stade de Colombes pour lequel l'alliance entre considérations sportives, politiques et "économiques" ne paraît pas des plus faciles...
Les principes d'une action décidée, s'appuyant sur les Parcs départementaux au travers des opérations Parcs en Sports, bien répartie territorialement me semblait excellent. Non moins utile, le recrutement d'une phalange de jeunes champions méritants et motivés, soit au sein du Service des Sports lui-même soit en vue d'actions ponctuelles et exemplaires dans les zones les plus défavorisées du département, la liaison avec le monde universitaire au travers de Léonard de Vinci. Positif lui aussi le style, qui avait su rester en dehors de considérations politiciennes de bas de gamme et servir prioritairement le Sport, non les intérêts politiques réels ou supposés de la faction dominante. Il s'agissait de servir l'ensemble des villes ayant une vraie politique sportive et non quelques "chouchous" privilégiés.
Plus difficile s'est révélée la gestion quotidienne des parcs départementaux, souvent détournés de leur objectif par les communes d'accueil en fonction d'objectifs campanilistes ne prenant pas suffisamment en compte l'intérêt des autres villes sur un investissement d'intérêt départemental et financé comme tel. Or la politique du département dans ce domaine s'est révélée hésitante et souvent timorée. De fait, les sportifs ne sont pas toujours en mesure de prendre en charge des problèmes techniques complexes en dehors de leur domaine et les élus responsables sont exposés aux pressions politiques diverses venant d'en-haut ou d'en-bas.
Les choix dans le soutien au sport d'élite se sont également révélés délicats. De nombreux élus tendent à confondre le sport professionnel, qu'il n'est clairement pas dans la vocation d'un département de soutenir -c'est à l'argent de financer l'argent- avec l'impérieuse nécessité d'asseoir l'expansion du sport départemental ou régional sur des locomotives qui ne peuvent être que des équipes ou des athlètes d'excellence : l'élite sportive. Or, l'excellence coûte cher en moyens et les villes ne peuvent tout faire, cependant que les EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) n'ont pas aujourd'hui les compétences légales nécessaires. De leur côté, les fédérations sportives voire les ligues jouent parfois un rôle ambigu. Leur politique et parfois aussi leur gestion interne génèrent des exigences financières toujours croissantes en investissement comme en fonctionnement et les collectivités locales, souvent, ne peuvent plus suivre alors qu'en face la gestion sociale du sport n'existe pas toujours. Le Département n'a pas forcément pris en compte cette dimension du problème.
Depuis le changement de Président, la situation a clairement empiré. Dans ce domaine comme dans d'autres, une tendance à mélanger les genres ou si l'on préfère à faire prévaloir l'esprit de clan sur l'intérêt général s'affirme. Les changements de pied brutaux, la non-prise en compte des résultats obtenus démotivent le personnel dans un domaine où l'exemple et l' allant des encadrants sont essentiels. Le principe de maintenir un consensus politique dans un domaine où il peut être créé et maintenu et où il ne gêne personne, semble devoir être abandonné. Ce serait profondément regrettable. D'autre part, l'action est compartimentée et l'on a beaucoup de mal à distinguer les lignes de force instillées par les élus responsables...si elles existent.
Le Sport, compétence facultative certes mais moyen d'action exceptionnel, ne semble plus du tout être une priorité pour le Conseil Général. Dans ce contexte il paraît utile que la Gauche prenne un relais, propose des lignes d'action et un nouveau consensus pour que le sport ne retourne pas aux oubliettes et qu'il contribue à prévenir une crise grave dont nous n'avons vu que les premiers feux et que seul un travail simultané et approfondi dans plusieurs domaines pourra conjurer.
Une action volontariste du Conseil Général en matière de sport devrait, dans les prochaines années, se placer sous le signe du pragmatisme, de la continuité et de l'ouverture. elle pourrait se décliner selon cinq axes principaux.
- Tout d'abord, poursuivre le travail entrepris et l'améliorer. Autrement dit, il s'agit de rendre pérennes les actions positives entamées. Ainsi, dans le domaine de l'exemplarité du sport avec l'intervention de champions dans les zones en difficulté, il s'agit de créer, partout où cette intervention a produit des effets, des clubs ouverts, aux tarifs allégés et continuant à travailler en liaison avec eux. Le critère principal doit rester la qualité technique mais aussi morale de l'encadrement, ce qui implique un effort en direction d'un cycle de formation d'encadrants où le niveau sportif ne soit pas le critère exclusif et qui, dès l'origine, puisse inclure la reconversion des sportifs de haut niveau. Cette idée a déjà été portée dans le cadre de Léonard de Vinci mais en se restreignant à l'"université privée" du département et aux difficultés de celle-ci avec l'Education Nationale, elle s'est automatiquement condamnée à un échec relatif.
Un gros effort doit être également entrepris pour homogénéiser le niveau de formation entre éducateurs sportifs et animateurs. Or, la rigidité des filières de formation fait que certaines d'entre elles sont probablement surdiplômées et surspécialisées, d'autres au contraire sousdiplômées et trop universelles. Sur le terrain, cela ne fonctionne pas bien quand les uns doivent prendre le relais des autres. Qui, sinon le Département, pourra résoudre ce problème essentiel dans de bonnes conditions ?
- C'est pourquoi le principe essentiel de son action devrait donc devenir, ou redevenir, la transversalité. Un service des sports départemental réduit à l'"action sportive" ne peut, à terme, qu'être un moignon secondant peut-être la publicité personnelle de quelques politiques locaux mais incapable de faire jouer au sport le rôle essentiel qu'il mérite dans l'éducation en général. Au contraire, en contribuant à décloisonner le sport scolaire, à amener de nouvelles générations au sport, en assurant une bonne jonction entre animateurs de terrain et éducateurs sportifs, en créant la synergie avec les autres entités titulaires de responsabilités sportivess et en gérant les évènements et les lieux majeurs du sport altoséquanais, le Conseil Général se valoriserait. Cela n'est bien évidemmment possible qu'en rendant au service concerné ses moyens mais surtout son rôle et même en le développant. Cela ne semble pas être le chemin qui a été pris pour l'instant.
- Toujours dans la même logique, le Conseil Général doit, ensuite, devenir le coordonnateur d'actions positives fondées sur le principe de la subsidiarité. Entre les multiples intervenants sur le territoire des Hauts-de-Seine, une conférence sportive devrait permettre de répartir les domaines d'intervention privilégiée par discipline, niveau de pratique sportive, objectifs sportifs ou capacité de soutien financier. Les PPI ( plans d'investissement) doivent être discutés avec les communes, les agglomérations, l'Etat (DDJS, Education Nationale) et la Région en s'appuyant sur les équipements existants mais aussi en en concevant d'autres, répondant à des besoins jusqu'ici négligés comme la natation, victime de la dispersion des myens et de l'incohérence des politiques. Accompagner la création des internats départementaux et régionaux, répondre aux besoins sportifs traversants ( en cyclisme par exemple) avec les départements besoins sont aussi des nécessités.
- Il s'agit aussi de mettre en évidence la subsidiarité et de savoir quelle entité territoriale ou nationale sera chef de file au sein de la Conférence sportive 92 à créer. On peut ainsi imaginer que l'évolution du problème des filières soit confiée à la DDJS, le travail sur les équipements d'intérêts commun par bassin sportif aux agglomérations, les évènements, les formations, le dialogue avec les ligues et fédérations et l'aide au Conseil Général, la création d'équipements de proximité liés à la politique sportive commune, aux villes. Un Fonds commun d'Encouragement pourrait constituer l'indispensable ressource permettant d'aider de façon pérenne mais avec des critères clairement définis les élites sportives, en sport collectif comme en sport individuel et handisport.
- Dernier point, mais il est essentiel dans l'optique qui nous intéresse : la démocratisation et la moralisation du sport. Le sport n'a d'intérêt que s'il contribue, non seulement au bien-être physique et à la santé des gens, mais à l'hygiène de vie et à une vie harmonieuse en société. Or, il est d'essence essentiellement associative et les Fédérations et ligues jouent donc un rôle esentiel dans sa gestion et son développement. Il importe donc qu'elles soient étroitement associées, au travers d'un dialogue serré et mutuellement bénéfique, à l'action publique en matière de sport. Or, les exemples actuels démontrent que les dérives existent et que, dans certains cas, les choses ne vont pas bien. Alors que d'innombrables bénévoles de terrain se dépensent sans compter pour leur sport et le plaisir des jeunes, certains dirigeants fédéraux vivent confortablement du même sport et le font évoluer vers des "valeurs" d'argent et de médiatisation, l'un nourrissant l'autre. Toujours plus d'incidents, de dépenses et d'exigences pour les villes ou les adhérents et à l'arrivée, un contre-exemple voire une anti-éducation pour les jeunes. Dans d'autres cas, sous les prétextes les plus divers, d'autres dirigeants réclament des moyens importants pour des sports qu'ils ne parviennent pas, paraît-il, à démocratiser. Or il n'y a pas de sports de classe, il n'y a que des sports qu'on ne veut pas faire partager.
Il convient, et le Conseil Général peut ici aussi jouer un rôle essentiel, d'amener les Fédérations concernées, s'il y en a, à la table de négociation et de les convaincre de se remettre au service du sport et non d'intérêts particuliers. A contrario, certains Petits Poucets assurent dans l'ombre un travail de forçat dans le cadre de disciplines méconnues ou trop régionales. Il convient de les aider et de les faire "exploser" d'autant plus que les jeunes adorent, en général, la nouveauté. Gérer le sport de façon juste, proactive et dynamique serait le maître-mot.
Tout ceci ne sont que quelques idées. Puissent-elle faire naître un débat constructif et contribuer à ce que, dans notre Département, le Sport reprenne des couleurs et redevienne un pilier d'une éducation de qualité qui devient aujourd'hui, avec un urbanisme de qualité et une vraie mixité sociale, une exigence absolue. Et satisfaire cette triple exigence reste, me semble-t-il, la seule porte de sortie sérieuse aux difficultés qu' éprouve la société française à faire vivre un modèle politique original et moderne, à l'heure où l'on cherche à nous vendre, après l'argent-roi, le communautarisme.