Il y a probablement deux manières de prendre "le" CPE. Au premier degré, c'est-à-dire dans l'esprit d'une législation qui convaincrait les entreprises d'embaucher plus facilement et ferait donc diminuer le chômage des jeunes. Mais une autre lecture est possible : dans l'esprit politicien qui anime hélas aujourd'hui beaucoup de nos dirigeants, ce serait une manoeuvre tentée par le clan chiraquien pour éliminer le prétendant principal de la Droite aux présidentielles. Un CPE tactique, en quelque sorte. Dans les deux cas, le CPE est dangereux voire irresponsable.
Il est frappant de constater que dans notre classe politique, très largement formée de gens qui sont, soit des professionnels de la politique, soit des hauts fonctionnaires ou qui ont voulu l'être, l'idée qu'on se fait de l'entreprise est très particulière. Elle est souvent inspirée d'un vague mélange de colbertisme et de marxisme, mâtinée de libéralisme européen. A beaucoup d'entre eux, la mentalité du chef d'entreprise ou des chefs d'entreprise ( dont les motivations varient souvent considérablement en fonction du secteur, de la taille et de l'actionnariat) reste étrangère mais elle est en tous cas perçue de façon négative. Comment expliquer autrement l' étrange postulat qui sous-tend l'idée du CPE et selon lequel plus l'emploi serait précaire voire arbitraire, moins les entreprises hésiteraient à embaucher ? Comment expliquer cette rage des gouvernements conservateurs à vouloir toujours tripatouiller le droit du travail ?
Tous ceux qui ont vécu au milieu des dirigeants d'entreprise savent bien, pourtant, que le problème n'est pas là. La démarche d'un chef d'entreprise n'est, en général, pas du tout d'ordre idéologique, elle est pragmatique. On embauche quelqu'un pour aider au développement de l'entreprise que, par définition, on souhaite aussi stable et solide que possible. On souhaite recruter les meilleurs éléments à un coût reflétant certes les conditions du marché mais dans la perspective de les garder s'ils font leurs preuves et non de se débarrasser à la moindre occasion d'un investissement humain ce qui serait idiot, même si les contraintes de l'entreprise et de son actionnariat sont fortes. Pour cela on a besoin d'un bon recrutement, de procédures simples avec lesquelles on ne perd pas son temps ni celui de son directeur des ressources humaines (DRH) et de règles du jeu simples qui facilitent le transparence du marché du travail, déjà encombré d'innombrables trouvailles législatives aux sigles divers. On souhaite que les entreprises ne soient pas taxées en fonction de leur charge en personnel mais davantage au titre de leur valeur ajoutée, s'il le faut vraiment. On a, enfin, l'oeil rivé sur le carnet de commandes et le développement des marchés et c'est là que l'on attend vraiment l'action positive de l'Etat. Certes, on trouvera toujours des patrons exploiteurs comme des salariés tire-au-flanc mais ils ne sont pas majoritaires dans leurs milieux respectifs et il est particulièrement ridicule voire odieux de faire d'avance le procès aux jeunes, ou aux moins jeunes, de ne pas vouloir travailler car personne n'est chômeur par plaisir. Ils ont d'ailleurs su comment répondre à ce mauvais procès, initié par des gens qui sont particulièrement mal placés pour l'intenter.
Et clairement, la majorité des chefs d'entreprise et même une grande partie des adhérents réels du MEDEF n'ont jamais demandé le CPE : il obère l'image de l'entreprise en France et dans le monde, alourdit considérablement le climat social et complique encore le quotidien des DRH qui n'est déjà pas facile. Le CPE ne crédibilise nullement l'image de la Droite auprès des dirigeants d'entreprise, entre autres parce qu'il est fondé sur une image particulièrement négative et fausse du comportement du "patron" moyen, lequel se satisfaisait plus ou moins du droit du travail actuel, bien assez compliqué comme cela.
Dès lors serait-ce pour des raisons purement politiques ou plus exactement politiciennes que l'aventure du CPE a été tentée ? Cette explication paraît plus plausible. En lançant un tel pavé dans la mare sociale, la tension sociale était prévisible et elle constitue, aux yeux de conseillers dépourvus de scrupules excessifs le moteur de l'action, le vent dans la voile qui permet de manoeuvrer le radeau politique de la Droite. D'autre part, il est assez typique des tactiques chiraquiennes d'attirer le taureau de gauche sur la cape, à la remorque d'un mouvement de protestation populaire, de façon à l'empêcher de se rassembler réellement et de se structurer sur un programme efficace et crédible et sur un candidat unique. Ca a déjà marché et ça pourrait bien re-marcher.. Dans un deuxième temps, il sera d'autant plus facile de le surprendre, ce taureau, par une manoeuvre politique inattendue. Parallèlement, les chances d'un dérapage sarkozien augmentent. Ou bien Nicolas SARKOZY devient en tant que chef de parti infidèle à sa propre majorité en se désolidarisant d'un premier ministre plus "ferme" que lui et donc plus à droite en termes d'image, ou il assure mal le maintien d'un ordre menacé par l'échauffement des banlieues et les casseurs environnant les manifestations. Bien sûr, l'intéressé se méfie mais on sait que les nerfs ne sont pas son fort. Et si ça tourne vraiment mal, il reste encore Juppé ou d'autres, qu'on sortira du chapeau au dernier moment. Et pourquoi pas le "patron" lui-même ?
Dans une telle analyse, le CPE n'est plus qu'un appât dans une haute manipulation de l'opinion publique. Loin de réfléchir, ensemble, aux moyens de développer la puissance politique et économique du pays dans le monde afin de permettre à nos entreprises de se développer encore mieux, d'attirer des groupes étrangers dans l'espace économique français, de développer l'emploi public utile afin de susciter la confiance et l'espoir favorables au plein emploi, on joue à des jeux dangereux. Dans cette hypothèse, on subordonne en fait l'intérêt du pays à la réussite éventuelle de gens qui font la preuve de leur propre irresponsabilité. Comment qualifier un tel comportement qui mobilise négativement le pays au lieu de le mobiliser positivement vers le progrès social et économique ?
Il y a probablement un peu des deux hypothèses dans l'aventure de Galouzeau de Villepin et de son CPE. Mais l' une comme l'autre sont condamnables, l'une au nom de l'intelligence et l'autre de la morale politique.
Au plan du Droit, le CPE est tout aussi critiquable : vous pourrez lire sur ce site la magistrale analyse de Roger-Gérard SCHWARZENBERG sur l'inconstitutionnalité (ouf !) du CPE