Une menace pèse sur les collèges et lycées à sections internationales, en particulier ceux de Sèvres et Chaville. Un projet de décret a en effet été élaboré par les services de l'Education Nationale, qui contraindrait dès la rentrée 2007 les associations gestionnaires du corps enseignant -presque entièrement d'origine étrangère- propre aux sections internationales à rétrocéder leur gestion à l'Education Nationale. Cette mesure inopinée pose de graves problèmes qui pourraient obérer voire interrompre le fonctionnement de ces sections.
Il nous paraît indispensable qu'elle soit très largement amendée et fasse l'objet d'une concertation sérieuse avec des gens réellement concernés par le sujet et que l'Education Nationale, avant de compromettre un système fonctionnant à la satisfaction quasi-générale, se donne les moyens et le temps d'apporter une véritable solution à une demande que, pour l'instant, seules les sections gérées par les associations ont réussi à satisfaire.
Un petit rappel sur le fonctionnement des collèges et lycées publics à sections internationales paraît tout d'abord nécessaire pour bien comprendre les dangers qui menacent les sections internationales de Sèvres, Chaville, Saint-Germain, Buc ou d' ailleurs.
Depuis de nombreuses années, ces établissements permettent aux élèves qui y étudient de suivre , dans le cadre des programmes officiels, une scolarité dispensée partiellement en français, partiellement en langues étrangères. C 'est ainsi que l'histoire, la géographie, la littérature peuvent, suivant les cas, y être enseignées en anglais, allemand, italien, espagnol, etc. L' enseignement débouche sur l'obtention d'un bac international, reconnu aussi bien par les établissements français d'enseignement supérieur que par les facultés étrangères où le jeune est susceptible d'étudier ultérieurement. De plus en plus, cette formule évolue vers un bi-bac c' est-à-dire qu'un double examen permet au jeune d'arriver au même résultat en passant deux examens nationaux.
A noter que dans la majorité des lycées à sections internationales, il est pris soin d'assurer la mixité des cursus suivis par élèves : dans les classes coexistent des élèves qui suivent un enseignement classique (STT par exemple) et d'autres qui participent au programme international. C 'est pourquoi l'on parle de sections, et non de classes. Le reproche de sélection sociale est donc infondé. A noter également qu'un examen de langues est nécessaire pour intégrer une section internationale, compte tenu du déphasage entre le "rendement" de l'enseignement de langues de type traditionnel et le niveau nécessaire pour recevoir un enseignement en langues. Ceci n'est pas choquant, dans la mesure où l'obtention par tous les lycéens d'un bac accepté par une faculté étrangère n'est pas un objectif réaliste dans le contexte actuel.
Pourquoi enseigner en langues étrangères une partie du cursus ? Tout simplement parce qu'une population importante de cadres internationaux d'origine française ou étrangère est par nature contrainte à la mobilité. Celle-ci implique non seulement le bi- ou multilinguisme de leurs enfants mais leur capacité à s'adapter sans perdre des années dans des établissements scolaires étrangers que les déplacements de leurs familles les amèneront à fréquenter. Il n' y a par ailleurs aucune raison pour que des couples étrangers ou mixtes établis en France soient contraints de renoncer à offrir à leurs enfants l'avantage d'une double culture. A quoi bon, si l'on n'accepte pas ce principe, se gargariser d'"Europe" ou de mondialisation ?
La formule des sections internationales n'a évidemment pas grand'chose à voir avec l'enseignement traditionnel des langues tel qu'il est depuis toujours pratiqué par le ministère de l'Education Nationale.
Au terme de centaines d'heures passées sur les bancs d'école, la majorité de nos jeunes n'ont en effet qu'une connaissance des langues médiocre qui les rend très souvent incapables de s'exprimer naturellement dans la langue qu'ils sont censés avoir étudié, davantage encore d' intégrer une faculté étrangère. Dans ces conditions, s'ils veulent ensuite étudier à l'étranger comme l'internationalisation générale les y invite, il ne leur reste plus qu'à perdre un an ou deux de plus à fortifier leurs connaissances. C'est ainsi que de nombreuses places des programmes européens disponibles pour de jeunes Français, restent vides, faute de candidats répondant aux critères.
Au contraire, la formule des sections internationales est extrêmement efficace, trés valorisante pour l'avenir des jeunes qu'elle accueille et elle a donc, inévitablement, déclenché une forte demande, y compris chez les parents d'enfants non préparés à ce cursus. Elle génère aussi, hélas, la cabale traditionnelle de gens impatients d'appliquer leur principe favori : "mieux vaut rien pour tout le monde que quelque chose pour quelques-uns", au lieu d'aider à rechercher les moyens, précisément, d'apporter à tout le monde le service dont certains bénéficient déjà grâce à leur propre initiative.
Qu'en est-il des "sections européennes" et peuvent-elles se substituer aux sections internationales ? Il s'agit ici, tout simplement, de classes où l'apprentissage classique des langues est renforcé, principalement au travers des horaires et peut-être aussi d'une attention particulière apporté au choix des enseignants. C'est évidemment mieux que le système classique. Pour autant , elles ne sauraient se substituer aux sections internationales, qui présupposent une maîtrise linguistique reconnue par le milieu international.
Venons-on au principal procès qui est fait aux sections internationales : celui d'être payantes pour les parents qui y inscrivent leurs enfants et de contrevenir ainsi au principe de la gratuité de l'enseignement public. Ce qu'il faut simplement comprendre, c'est que c'est la carence du ministère qui a conduit à cette situation car les parents, quelle que soit leur origine et leur niveau de vie, préféreraient bien évidemment un enseignement gratuit. Or, pour obtenir un enseignement de qualité et gratuit en langues (et non, rappelons-le, de langues) trois solutions s'offrent et l'on n'en voit guère d'autres :
1) Des professeurs français existeraient en nombre suffisant pour enseigner, par exemple, l'histoire ou la géographie en anglais, allemand, etc. Il est clair que les services du ministère ne disposent absolument pas aujourd' hui de tels personnels sous statut, dans un contexte où ledit ministère a presque réussi à faire de l'allemand ou de l'italien des langues rares (!) et qu'il est à craindre que cette situation ne perdure, faute de formation et d'incitations adéquates à une telle mission, sans parler de l'esprit des programmes et de la répartition des horaires.
2) Les états étrangers mettraient à disposition gratuitement des enseignants agréés par l' Education Nationale dans le cadre d'accords internationaux. Cette solution est envisageable dans le cas de pays souhaitant promouvoir leur langue propre et en ayant les moyens. C'est ainsi qu'un projet est actuellement en cours à Chaville et à Sèvres pour le portugais. Mais il est évidemment illusoire de s'imaginer que les Etats-Unis ou le Royaume-Uni s'amuseraient à financer en France des dizaines de postes au profit de nationaux de tous pays pour l'unique raison qu'ils sont anglophones. Même la République Fédérale d'Allemagne a souhaité se retirer du financement direct du Lycée de Buc, qui était au départ un authentique lycée binational financé par les deux états.
3) L'Education Nationale recruterait directement et rémunèrerait à des conditions correspondant au marché, des enseignants anglophones ou germanophones originaires de pays où ces langues sont communément utilisées, l'enseignement présente des critères proches de la France et où le niveau de rémunération est compatible avec les possibilités du ministère. Pourquoi pas ? Mais il va falloir que les services du ministère se mettent sérieusement au travail pour atteindre un tel résultat !
C'est bien devant l'impuissance dudit ministère à mettre en oeuvre l'une quelconque de ces solutions à un vrai besoin, que se sont créées des associations. Celles-ci recrutent et gèrent un corps enseignant formé, en général, de professeurs étrangers résidents en France. Il y a un inconvénient et il est de taille : elles ne trouvent pas d' autre financement que celui des familles, ce qui rend le système vulnérable au plan juridique, quels que soient les véritables motivations d'une éventuelle action en justice. Même si la grande majorité des familles ne se plaint pas et que des solutions sociales existent, il ne manquera jamais de gens préférant l'application rigide des principes (sauf par rapport au secteur privé auquel ils confient parfois leurs enfants..) à un système imparfait mais très utile et qui fait ses preuves, ainsi que la demande en témoigne.
Le cas actuel et comment faut-il réagir ?
L' entreprise du ministère consiste en substance à inclure dans un texte de décret globalement anodin même s'il est largement irréaliste au vu de la situation actuelle, un paragraphe interdisant aux Associations qui, en règle générale, gèrent les enseignants professant en langues étrangères de ces lycées, de continuer à le faire. C'est le cas de l'association S.I.S., qui gère les enseignants des sections internationales des lycée et collège de Sèvres et du collège de Chaville.
Or, la plupart des enseignants Européens ou Américains des sections internationales (US et Canada) ne sont absolument pas prêts, pour de nombreuses raisons (niveau des salaires, contraintes administratives, compatibilité avec leurs cadres d'origine, style d'enseignement etc.) à se placer dès la rentrée 2007 sous le joug du système national. Dès lors Ils risquent de vouloir faire autre chose ou de partir, provoquant l'effondrement des sections.
Il n'est pas certain que ce soit là le véritable but recherché par les promoteurs du projet de décret, même si des cabales contre les lycées à sections internationales, nourries par des points de vues biaisés ou le manque d'information, se forment régulièrement. La conséquence de l'éventuelle prise d'un tel décret en l'état serait par contre quasi certaine et nuirait considérablement à une institution des plus utiles et bonne pour l' Education Nationale qui, placée dans une situation effective de concurrence, doit faire valoir sa qualité et non pratiquer un regrettable mélange d'inertie et de précipitation.
Il convient donc de donner au système le temps d'évoluer, logiquement vers une combinaison des solutions 2) et 3) et d'éviter toute mesure intempestive dans le traitement d'une situation depuis longtemps prévisible. Respectons le travail des proviseurs, des personnels enseignants ou non et l'effort des familles des établissements à sections, sans oublier le dévouement des opérateurs associatifs. Agissons auprès du Ministre pour qu'il ne signe pas le texte dans sa forme actuelle mais demande à ses services d'oeuvrer rapidement aux solutions concrètes telles qu'évoquées ci-dessus ainsi qu'à une solution transitoire permettant aux enseignants actuels de continuer leur travail et aux jeunes d'étudier en toute quiétude.