...ou l' histoire d'un marivaudage politique entre la France et l' Iran.
L'Iran fait assez souvent, en ce moment, la une ou au moins la deux des journaux. Il est aussi prétexte à des déclarations surprenantes qui ne paraissent pas toujours refléter une étude approfondie du sujet, c'est le moins que l'on puisse dire. Sans en être un vrai spécialiste, j'ai le double bonheur d'avoir passé quelques années dans le pays et d'en connaître un peu la langue… Alors, pourquoi n'apporterais-je pas mon petit grain de sel au débat ?
Il faut tout d'abord se souvenir que l'Iran n'est pas un quelconque émirat arabe du Golfe arabo-persique, aux frontières souvent liées à des influences coloniales et pétrolières et dont les classes dirigeantes numériquement très réduites "font tourner" des Etats qu'on pourrait qualifier de seigneuriaux. Dans ce genre d'état, les hilotes modernes que sont les Palestiniens, Egyptiens, Philippins, Pakistanais etc. assurent l'essentiel des fonctions la vie quotidienne voire de la défense. Ces Etats sont évidemment vulnérables aux pressions étrangères, encore que dans le cas des plus importants, ils aient su se donner une marge d'indépendance non négligeable. Ainsi l'Arabie Saoudite, encore largement dominée par le wahhabisme (l'une des versions les plus "extrémistes" de l'Islam sunnite) continue à appliquer tranquillement aux dépens des quelques Saoudiens "pauvres" ou des étrangers l'une des intreprétations les plus dures de la chahria sans d'ailleurs que les censeurs occidentaux ne s'en formalisent plus que cela… pétrole oblige !
Avec l'Iran, c'est une toute autre affaire : un état de quelque 75 millions d'habitants, trois fois grand comme la France, aux frontières très stables depuis longtemps, multi-ethnique mais avec une identité culturelle persane très forte, riche et fier d'une civilisation datant de plusieurs milliers d'années. Les Iraniens disposaient déjà d'une administration et une diplomatie évoluées à l'époque où nous courrions encore en petite tenue dans ce qui devait devenir la Gaule. La langue persane, sous diverses formes, est véhiculaire non seulement en Iran mais aussi en Afghanistan et au Tadjikistan, elle recèle bien sûr des trésors littéraires importants et elle continue à évoluer. L' Iran est voisin d'états stratégiquement importants et sources pour lui de multiples dangers. Ce sont l' Iraq, où les Américains mènent ce qu'il faut bien appeler une guerre coloniale et qui joue, tout comme son grand voisin, un rôle majeur sur l'échiquier des énergies fossiles. La Turquie, autre acteur majeur du Moyen-Orient et puissante nation militaire aux intérêts économiques substantiels. L’ Arménie, à laquelle Téhéran assure la survie économique tant que la frontière turque reste fermée. L' Azerbaïdjan, enjeu pétrolier important et dont les habitants sont liés à une minorité iranienne sunnite (les Azéris) d'origine turque. La Russie, séparée aujourd'hui par la Caspienne mais toujours très présente politiquement en Iran, qui la sépare des mers chaudes (c'est un peu le Mexique des Russes..). Le Turkménistan. L’Afghanistan où une minorité persophone (les Hazaras) existe et le Pakistan avec qui l'Iran partage l'importante et remuante communauté baloutche. Passons sur le Golfe, où Bahrein constitue une porte d'entrée significative pour l'Iran du fait de sa minorité chiite. A noter enfin qu'à portée de missile des centres vitaux iraniens, existent plusieurs puissances nucléaires : les Etats-Unis, bien sûr ; la Russie ; le Pakistan, état "bien tranquille" et pas du tout islamiste (!), "nucléarisé" par les occidentaux et leurs alliés (!) ; Israël, peut-être. Et l'on ne parle pas des sous-marins stratégiques divers et variés et qui hantent la mer d'Oman..et ici, il faut se mettre à la place des Iraniens, quel que soit leur régime du moment.
A l'inverse, l'Iran dispose bien sûr de nombreuses possibilités d'action directes et indirectes lui permettant de défendre son pré carré et son pain quotidien : le pétrole et son prix principalement. Via les minorités éloignées (chiites libanais ou proches, comme les Baloutches, les Kurdes ou les Chiites irakiens) il peut employer de larges ressources à contrebalancer l' Axe du "Bien" tant que celui-ci prétend lui imposer des intérêts qui, du point de vue iranien, sont essentiellement économiques et non moraux. Et à partir du moment où les Américains et les Britanniques, anciens exploitants semi-coloniaux du pétrole iranien, ont repris pied en Irak et menacent de ce fait à la fois la crédibilité directe et indirecte de l'Iran sur les marchés internationaux, le casus belli existe. Il ne se refermera qu'après une négociation où l'influence directe de l'Iran sur la situation est en jeu. On aurait évidemment pu y penser plus tôt..vu le terrible coût de cette nouvelle guerre qui saigne à nouveau l'Iraq.
Ethniquement, les Iraniens sont nos "cousins" et ils ont toujours eu des relations délicates avec le monde arabe même s'il existe dans le Sud du pays une minorité arabe et s'ils partagent très majoritairement avec eux l'Islam...sauf qu'il ne s'agit pas du même Islam. Difficile à ce sujet d'émettre des jugements globaux qui ne soient pas superficiels. Ce qu'on peut dire en tout cas c'est que la sensibilité religieuse chez les Iraniens (qui sont Chiites depuis en gros le XVIIIème siècle, pour les mêmes raisons en gros que les Anglais sont devenus anglicans ) qui ont presque toujours et même aujourd'hui, globalement respecté les minorités du Livre (Chrétiens divers et Arméniens en particulier, Juifs, Ismaïliens) est bien différente de celle des peuples pratiquant le sunnisme. Frisant le mysticisme et y baignant même parfois, elle est aussi très structurée avec un pseudo-clergé très influent. Elle évoque pour moi, à tort ou à raison, ce qu'était le catholicisme de l’Espagne et plus spécifiquement de l’Andalousie.
Mais, dans ce contexte, pour des raisons touchant à sa haute tradition culturelle, à son importance physique, démographique et stratégique, l’Iran réagit et réagira toujours en tant qu' Etat soucieux d'abord de ses intérêts ( comme le Royaume-Uni moderne, l'Inde ou la Chine à bien des égards) et avec qui il est toujours possible de discuter du moment qu'il estime que lesdits intérêts sont, au moins en partie, respectés : ce n'est pas une puissance impérialiste* même si elle est impériale. Peu importe que ses dirigeants en soient des militaires, des religieux, des civils de bords divers ou la famille auto-proclamée impériale, il en va en Iran de la puissance des grandes familles qui tirent encore largement les ficelles, quelle que soit la vêture de leurs représentants au pouvoir. Il convient également de noter en passant qu'il ne faut sans doute pas trop privilégier le côté théocratique du régime actuel ni en sous-estimer le côté révolutionnaire, en particulier vis-à-vis de l'immense jeunesse de la population iranienne.
En tous cas, faire globalement des Iraniens des gens fanatiques et politiquement irresponsables sous prétexte que M. Ahmadi-Nedjad se livre à des déclarations excessives voire inacceptables, dans un contexte particulier et à un usage principalement interne est aussi stupide qu'injuste. Il est assez frappant de voir à quel point, chez les Occidentaux, la politique extérieure mélange sans cesse les "principes" qu'on applique aux uns mais pas aux autres, la Realpolitik ou ce qui est censé en être une et une amnésie à peu près totale sur certains sujets. Si l'Iran a souvent été attaqué ou envahi -par exemple par notre "ami" Saddam Hussein et avec notre soutien..- il n'a que très rarement conduit de politique agressive en dehors de ses frontières, ce qui ne veut pas dire bien sûr que comme tous les grands états il ne manipule pas de factions religieuses et/ou ethniques ici ou là. En effet l'Iran a toujours préféré, à moins d'y être contraint car les Iraniens sont des gens courageux, la puissance de la diplomatie ou de l'action indirecte au travers des minorités, à l'emploi direct de la force guerrière.
Mais sur le sujet de l'Iran la politique française, pour ne parler que d'un passé récent, s'est véritablement révélée la championne toutes catégories de l'inconsistance et de l'incohérence. Les relations franco-iraniennes -peut-être parce que les deux pays se ressemblent à beaucoup d'égards- ont souvent tenu du marivaudage. Pendant que les entreprises françaises, en général assez professionnelles, pratiquent tranquillement leur business parce qu'elle ont compris les enjeux et ne font plus vraiment confiance aux politiques pour porter et défendre les intérêts nationaux dans cette région (elles en faisaient d'ailleurs déjà autant dès le XVIIIème siècle), on a assisté à un véritable gymkana politique !
On a pu voir en effet successivement la France flirter avec le régime de Reza Shah Pahlavi en coopérant avec lui, y compris dans des domaines sensibles puis s'en détacher progressivement au point d'accueillir l' ayatollah Khomeini sur son propre sol. Pari à l'époque audacieux et dont nous pouvions, à l'arrivée au pouvoir de l'intéressé, attendre de fructueux retours et en particulier regagner une part de l'influence culturelle dont nous jouissions en Iran. Mais alors que la Révolution iranienne qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler à bien des égards notre Grande Révolution, se préparait déjà à récompenser ses amis, retournement brutal de la France ! Le régime de Saddam qui avait su (comment ?) s'assurer la sympathie voire complicité de la quasi totalité des milieux politiques français, envahit l'Iran avec notre bénédiction et même avec notre soutien militaire actif. Des centaines de milliers de jeunes Arabes et Iraniens paient, de chaque côté, le prix de cette terrible guerre qui a laissé de profondes traces en Iran comme en Irak. Puis, Saddam est à nouveau diabolisé à l'Ouest par ceux qui le citaient en exemple, sans pour autant que nous nous rapprochions des dirigeants de Téhéran, à qui l'on reproche aujourd'hui de vouloir doter l'Iran du nucléaire civil..et militaire. Le Pakistan, d'accord ; l'Iran, non !
La voilà, la vraie question ! celle de l'entrée dans le club nucléaire..Je n'aurai pas la cruauté de rappeler le contexte dans lequel le général de Gaulle (mais cette politique était déjà contenue dans celle de ses prédécesseurs après l'échec de l'aventure du canal de Suez) a imposé la politique nucléaire française. "Quoi, les Français, notoirement irresponsables en politique internationale et qui ont perdu la guerre, prétendent maintenant se ruiner pour ajouter aux risques de la dissémination ! " voilà ce qu'en substance on entendait et on lisait, dans des termes parfois très violents, dans la presse anglo-saxonne en particulier. A l’arrivée, nous sommes bien là avec notre électricité nucléaire et nos SNLE craignos (comme dirait Renaud). Est-on rétrospectivement pour ou contre, c'est un autre sujet. Mais la volonté politique, elle, était là et elle a passé, assurant à la France une influence qu'autrement elle aurait assurément déjà perdu. Dans ces conditions, nous ne sommes peut-être les mieux placés pour interdire à d'autres l'entrée au club .....
Dans le cas de l'Iran, il faut bien de rendre compte que n'importe quel régime iranien -et il n'est qu'à entendre les réactions d'une diaspora qui a de bonnes raisons d'être très hostile au régime de Téhéran pour s'en convaincre- mènerait une politique similaire, tout simplement parce que dans la situation du pays, il n'en est pas d'autre. Rappelons-nous simplement qu'à l'époque du Dr.Mossadegh puis du shah, les Occidentaux avaient prétendu maintenir l'Iran en sujétion en l'empêchant d'exploiter son pétrole puis de produire son acier. Qu'est-il arrivé ? La NIOC a fini par se créer et devenir un acteur majeur du marché. Les aciéries ont été construites par les Russes, et elles tournent aujourd'hui. Quant au fait qu'il existerait des pays irresponsables et d'autres pas, rappelons-nous que personne ou presque ne s'est formalisé de voir le face-à-face indo-pakistanais se nucléariser aux frontières iraniennes. Question risques pour la paix, je n'ai pas connaissance que les régimes d'Islamabad ou celui de Ryadh soient, directement ou indirectement, infiniment moins dangereux pour elle que l'Iran ou les pataquès américains au Moyen-Orient, soit disant justifiés par l'existence inventée d'armes de destruction massive en Irak.
Il ne s'agit évidemment ni de justifier ni de se réjouir de l'accès de l'Iran au club nucléaire. Mais cette évolution, qui date d'ailleurs du défunt Shah car il avait déjà créé une Organisation pour l'Energie Nucléaire, a objectivement été encouragée par la politique occidentale. Et politiquement, lorsqu'on est hors d'état de prévenir une situation, il est peut-être préférable de créer les conditions pour la gérer dans les meilleures conditions possibles, au bénéfice de la paix. Il semble d'ailleurs que les Américains eux-mêmes, réalistes comme toujours, soient déjà en train d'évoluer et qu'après l'exercice de "big talking" auquel ils se sonts livrés, ils aient entrepris par l'intermédiaire de nos amis britanniques de virer de bord pour un nouvel exercice : "let's talk to the bad guys"!
Pendant ce temps on en est encore, en France, à des déclarations de principe assez ridicules de la part d'un pays particulièrement "nucléaire" et qui n'est pas censé être inconditionnel de la politique américaine. Nous risquons une fois de plus de nous retrouver, sous prétexte de politique intérieure et des coups de pub dont le sarkozysme est de plus en plus avide, dans la situation moliéresque du voisin battu à la fois par la femme et par le mari qu'il prétendait réconcilier. Plus ridicule encore est l'idée qu'il faudrait, parce que leur dirigeant actuel déplaît, prétendre priver les Iraniens des avantages civils du nucléaire et de la sécurité qu'il procure en cas de chute du revenu pétrolier. De quel droit, pour quels motifs et suivant quels exemples ? Pas le nôtre, en tous cas.
Et sur tous avec quels moyens. Prétend-on faire la guerre à la fois en Iraq, en Afghanestan et en Iran, sous peine de déclencher (comme ce fut le cas au Viêt-Nam, avec des rapports de force bien différents) des réactions de défense nationale appuyées sur des moyens de coercition diplomatique et économique considérables ? Et ce à un moment où la Russie et la Chine souhaitent revoir les règles du jeu international ? Très difficile pour les Etats-Unis eux-mêmes. quant à la France, mieux vaudrait pour elle, en ce moment, s'occuper de ses vrais intérêts plutôt que de reprendre aux Britanniques un rôle qu'ils ont cessé de jouer par rapport à la politique de Bush.
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* Que ce soit pour des raisons militaires et économiques (USA), politiques et ethniques (Russie soviétique ou grand-russe) ou religieuses