Comme il fallait s'y attendre, le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance (loi dite Sarkozy) a été voté à l'Assemblée Nationale grâce à l'UMP. Je ne fais pas partie des gens qui sont par principe contre une ou des propositions au simple motif qu'elles sont défendues par leurs adversaires politiques. Mais dans ce cas-ci, force est de constater que face à l' une de leurs missions les plus difficiles, celle d'assurer à leurs concitoyens le meilleur niveau possible de sécurité, les maires ne trouvent pas dans ce texte ce dont ils ont besoin et qui relève d'un cadre beaucoup plus large.
Par contre, ce projet de loi est, me semble-t-il, de nature à accentuer les risques d'infection des abcès sociaux et à encourager de dangereuses dérives, donc à compliquer la tâche des élus de terrain. Elle témoigne d'une grande confusion intellectuelle en mêlant des dispositions d'ordres totalement différents. Comme trop souvent aujourd'hui, ce nouveau texte est aussi un symptôme d'une véritable diarrhée législative de dispositions prises sans perspective politique globale.
Enfin, il se situe, il faut bien le dire, dans une optique électoraliste, bien éloignée de la sagesse et du recul qui devraient présider à la construction de la sécurité publique et de la paix sociale.
Et cette vision est particulièrement néfaste, en ce sens qu'entre les lignes elle vise spécifiquement certains publics (familles issues de l'immigration ou bénéficiant des aides sociales, gens du voyage, personnes psychiquement atteintes etc.)stigmatisés facteurs d'insécurité, ce qui explique d'ailleurs le côté fourre-tout des mesures énumérées qui concernent pêle-mêle les chiens, les allocations familiales, un "service national citoyen de la police nationale" sous le chapitre "intégration" (!), la sécurité passive des copropriétés etc.
Au mépris des faits et de l'humanisme le plus élémentaire cette loi, tout comme la "tolérance" vis-à-vis des propos racistes de tous bords, fait ainsi le lit de l'extrême-droite en ramenant tout doucement la génération du baby-boom à l'idéologie conservatrice des années d'avant-guerre, selon laquelle les problèmes de la société étaient dûs à certaines minorités qu'il s'agissait d'éloigner, de contraindre ou d'éliminer par la répression. On a vu la suite.
Entre autres fonctions sociales, les quelque 36 000 maires de France et de Navarre sont censés garantir la paix et la sécurité de leurs communes. De quels outils disposent-ils pour obtenir ce résultat ? De moyens directs, très peu.
A quelques exceptions près, ce ne sont pas les polices municipales qui peuvent intervenir directement pour résoudre des problèmes de sécurité. De nombreux maires de toutes tendances renâclent d'ailleurs pour des raisons de principe autant que financières, à reprendre à l'Etat sa tâche dans ce domaine. Même si l'on constate un renforcement de l'intervention municipale dans des villes plutôt importantes et riches, celle-ci se borne en général à la verbalisation de l'incivilité automobile. Or, ni la Police Nationale ni a fortiori la Gendarmerie Nationale ne sont à aucun degré dépendantes des maires même si elles entretiennent en général de bons rapports avec eux et ce n'est que la qualité de ces rapports et des fonctionnaires qui permettra l'action et le renseignement sur le terrain. De plus, dans un Etat de droit, les policiers ne sont ni des vigiles ni des justiciers : rien ne sert de courir après les fauteurs de trouble si ceux-ci sont plus ou moins immédiatement remis en liberté soit parce qu'ils sont mineurs et s'en tirent avec une réprimande, soit parce qu'on n'a pas le temps de traiter l'affaire et qu'elle est classée, soit qu'une amnistie mécanique joue son rôle, soit enfin parce que la crainte empêche les témoins de déposer de façon probante et donc que les bases juridiques manquent pour une éventuelle condamnation. Ce n'est donc pas au niveau des forces de police ou de gendarmerie, qui jouent me semble-t-il, globalement bien leur rôle en dépit de dérives ponctuelles, que le problème se pose.
En ce qui concerne les rapports avec la Justice, justement, le bilan tel que je le vois est assez négatif. La grande majorité des juges se refusent à tout contact direct avec les maires, que ce soit au nom d'un emploi du temps très chargé ( les maires seraient-ils de leur côté au chômage technique ? )ou pour des raisons de principe ( lesquelles ? ). Beaucoup de magistrats, semble-t-il, ne conçoivent pas l'intérêt d'une information réciproque ou d'une meilleure vision du terrain, a fortiori du partage des responsabilités. Un certain nombre d'entre eux partagent même une vision hélas répandue dans les sphères supérieures de l'Etat, à savoir que les élus locaux seraient au rendez-vous de l'électoralisme, de l'irresponsabilité ou de l'incompétence. Pour autant il est vrai que, la France se refusant obstinément à réserver à l'administration de la justice les moyens financiers qu'elle mérite, la plupart des tribunaux travaillent dans des conditions inacceptables et en sont de ce fait réduits à classer systématiquement un pourcentage élevé des affaires. Pour les mêmes raisons, l'administration des mesures d'accompagnement pour les jeunes se fait souvent dans de très mauvaises conditions d'efficacité. La justice des mineurs est, quant à elle, mal préparée à assumer le fait qu'une grande partie des délits sociétaux graves sont aujourd'hui précisément le fait de mineurs. Quant aux prisons, leur situation est globalement une honte pour notre pays et de ce fait elles ne remplissent pas bien leur rôle voire aggravent encore les choses. Cet état de choses se reflète naturellement sur le terrain et contribue parfois à démoraliser les services de police, parfois même à les inciter à prendre des libertés avec la loi.
Après les moyens nationaux, les moyens locaux. La plupart des maires de villes significatives font déjà tourner les CLSPD ( une bonne idée, ces CLSPD !) depuis longtemps et ils n'ont pas attendu Nicolas SARKOZY pour "animer" la politique de prévention de la délinquance sur le territoire de la commune. Ils en ont même souvent une vision beaucoup plus large en ce sens que beaucoup de problèmes relèvent aujourd'hui d'une délinquance occasionnelle ou d'opportunité, souvent collective, de plus en plus violente et spectaculaire et qu'elle est très largement le fait de mineurs désoeuvrés qui opèrent nuitamment dans des conditions facilitées par l'utilisation des portables. Dans ces conditions, les mineurs étant en principe encore sujets d'éducation puisqu'ils sont, précisément, mineurs, on ne peut que s'interroger sur l'encadrement éducatif desdits mineurs, ce qui est naturellement une problématique beaucoup plus large que celle du seul enseignement. Toutefois, celui-ci en reste un composant essentiel dans un pays où le monopole de l'Education Nationale, quoique très largement battu en brèche dans les faits, reste un principe sacro-saint et où l'enseignement est en principe obligatoire jusqu'à seize ans.
Or, l'enseignement est l'affaire de l'Etat. Seuls les personnels d'accompagnement passent progressivement, dans le cadre de la décentralisation, sous la responsabilité de l'autorité locale et les maires, pas plus que les employeurs publics ou privés n'ont leur mot à dire, ni dans la structuration des programmes, ni dans les horaires appliqués, ni dans l'orientation. A première vue, on pourrait se dire que c'est normal, que cela ne concerne que les seuls enseignants et qu'il serait dangereux de faire pénétrer dans l'Ecole les miasmes délétères du pouvoir de l'Argent ou de la Politique. Cependant, si des élèves suivent des enseignements inadaptés, attendent impatiemment la fin de leurs études de base dans de mauvaises conditions, bref sont en échec scolaire, qui est responsable ? Si le contenu éducatif continue à faire une part beaucoup trop importante aux études théoriques aux dépens du sport et des enseignements culturels, qui évalue les résultats de cette politique qui n'est en fait qu'une culture traditionnelle depuis la Révolution ? Si les établissements privés sous contrat ne sont pas astreints aux mêmes règles que les établissement publics quant à l'accueil des élèves en difficulté, qui réagit devant cette injuste concentration des problèmes ? Et si les jeunes sont mal orientés vers des filières sans avenir alors que des pans antiers de l'économie manquent de bras, qui en supporte les conséquences directes ou indirectes ? Les jeunes en premier lieu bien sûr, mais aussi la société et ceux qui sont censés, au plan local, en assurer le bon fonctionnement..Voici encore une problématique à laquelle la loi Sarkozy n'apporte, bien sûr, aucune réponse pas plus d'ailleurs que la classe politique en général, même si un léger frémissement s'est senti ces derniers temps : comment porter remède au déficit éducatif global ?
Une autre interrogation des maires se rapporte à l'administration de l'urbanisme dans ce pays. Nous savons que la délinquance - tout au moins celle dont il est question ici - est souvent liée à la contagion de l'exemple et au comportement de groupe : des bandes plus ou moins insaisissables hantent une zone urbaine assez précise et elle s'y retranchent, générant naturellement un fort sentiment d'insécurité et de peur dans la population générale, quelle que soit ses origines. Et là, il faut bien aller à contre-courant de certaines idées reçues et encore trop répandues. L'administration actuelle de l'urbanisme et du logement social en particulier, est catastrophique car elle tend objectivement à favoriser la territorialisation des bandes et à rendre inexpugnables le faible nombre des gens, organisés ou non en familles, qui pénibilisent pendant de longues années la vie de leurs concitoyens et particulièrement de ceux qui, faute de moyens et dans la pénurie actuelle de logements sociaux, n'ont pas le choix d'aller habiter ailleurs.
L'urbanisme massivement social continue, quoiqu'on en dise, à se fortifier sous l'effet d'une réglementation de type soviétique que la décentralisation complique encore au lieu de la simplifier. Pour n'en prendre un exemple, les groupes de construction sociale refusent le plus souvent de coopérer entre eux et exigent en fait, pour des raisons techniques voire technocratiques, des maires constructeurs qu'ils densifient encore leur patrimoine. Par ailleurs les nouvelles constructions s'adressent préférentiellement aux "classes moyennes", vieux cheval de bataille du mouvement HLM. Dans ces conditions, il devient très difficile d'aérer l'urbanisme de tours et de barres assaisonnées d'espaces peu entretenus et difficiles à surveiller, où prospèrent les bandes organisées ou non.
On a par ailleurs plus ou moins sciemment amalgamé le droit au logement qui est effectivement un acquis social indispensable qui doit être transcrit dans les faits et le droit au maintien dans les lieux, qui sous couvert de protéger les locataires d'expulsions arbitraires, permet la sanctuarisation définitive de quelques fauteurs de trouble, leur enracinement voire leur dictature. Le comble du système actuel c'est qu'alors que des expulsions pour défaut de paiement du loyer, autrement dit pour des raisons financières, sont encore régulièrement prononcées, les familles des fauteurs de trouble ne risquent rien. En effet, leur solvabilité est généralement assurée par divers trafics et si par extraordinaire le "bail" HLM, par définition légale toujours renouvelable, dont elles jouissent venait à être annulé par la justice, ce ne pourrait être que pour des troubles de jouissance touchant à l'immeuble lui-même et donc liés au bail, troubles directs que les intéressés évitent naturellement de commettre en général, se réservant pour des délits plus graves à l'extérieur..
C'est ici qu'on en arrive à un point-clé. Il est de mon point de vue parfaitement légitime, pour l'administration de la paix publique comme pour l'avenir des jeunes mineurs concernés, d'obliger occasionnellement et au travers d'une action de justice quelques familles à déménager si, de façon systématique elles ne respectent pas le contrat social qui les fait bénéficier d'un avantage social, d'un droit même auquel des centaines de milliers de gens paisibles et honnêtes aspirent parfois pendant de longues années, souvent même sans qu'il leur soit jamais accordé parce que, tout simplement, la construction neuve de logements vraiments sociaux ne suffit mathématiquement pas aux besoins et qu'il faudrait en plus "faire tourner" le stock disponible. Il est en effet probable qu'après un ou plusieurs déménagements, leur vision changera et qu'en tous cas il ne leur sera plus possible d'établir durablement une base de malfaisance et d'obliger d'honnêtes voisins à déguerpir. Ceci implique de changer la loi, qui garantit aujourd'hui aux fauteurs de trouble leur inexpugnabilité comme celle d'ailleurs des locataires installés jouissant de revenus dépassant les plafonds de ressources exigés à l'attribution du logement. Ceci explique d'ailleurs très probablement cela et c'est pourquoi le "droit" au maintien dans les lieux est devenu et reste l'un des principaux ennemis du droit au logement tout court.
Il est par contre particulièrement injuste, scandaleux et de plus, inefficace de prétendre exercer une pression financière sur des familles au travers des prestations sociales auxquelles elles ont droit. Davantage encore, d'envisager que l'autorité locale puisse y contribuer. En effet, les droits sociaux sont un acquis qui doit bénéficier à l'ensemble de la famille et l'on rencontre au sein de la plupart d'entre elles des membres qui ont la volonté et la possibilité de s'en sortir et d'autres qui se laissent, pour diverses raisons, glisser de façon ponctuelle ou définitive vers la violence. Dans le milieu généralement très solidaire des gens concernés, c'est le principe inacceptable de la punition collective qui est appliqué et qui ne pourra que créer de nouvelles difficultés. D'autre part, pourquoi "punir" ceux qui, moins riches, bénéficient de prestations familiales et pas les autres sur qui, dès lors, aucune pression ne s'exerce ? Enfin, l'expérience de terrain prouve que les quelques familles ou individus générateurs de trouble sont généralement insensibles à des sanctions financières indirectes, tout simplement parce qu'ils disposent des expédients nécessaires, en particulier les trafics divers, pour s'en sortir. On retrouve ici, en filigrane de la loi, la désastreuse "philosophie" du Kärcher...Enfin, une grande majorité des dispositifs "inventés" existent déjà et sont même occasionellement appliqués, telle la suspension des allocations familiales pour absentéisme persistant à l'école.
Le texte comprend par ailleurs un catalogue de mesures, nouvelles ou non, visant à renforcer les mesures d'accompagnement ou de sanction de la délinquance des mineurs, à faciliter les injonctions thérapeutiques, à réprimer les actes délictueux dans les transports. Ces mesures, qui s'insèrent dans les codes existants, n'ont qu'un trait commun : "en rajouter" sur le plan des sanctions, des durées de garde à vue ou d'internement ou encore des peines. C'est dans le même esprit qu'on parle de rabaisser encore l'âge de la majorité pénale : pourquoi pas les maisons de corrections, biribi etc. tant qu'on y est ? Même le Second Empire avait bien vite abandonné ce genre de phantasmes..
Quant aux pouvoirs des maires, qui devraient logiquement aller de pair avec les responsabilités accrues qui leur seraient paraît-il confiées, impossible de découvrir en quoi ils s'en trouvent modifiés. Deux paragraphes intéressants cependant. L'un concerne le Conseil pour les droits et devoirs des familles (un de plus !) dont la création est obligatoire pour les communes de plus de 10000 habitants, il n'apporte qu'une complication supplémentaire et un droit d'admonestation que les maires responsables n'ont évidemment pas attendu pour faire valoir. S' il suffisait cependant d'admonester les gens pour que tout se passe bien, cela se saurait depuius un moment ! L'autre, la possibilité pour le maire de mettre en oeuvre un traitement automatisé des données à caractère personnel relatives aux enfants en âge scolaire de sa commune. Comme on peut le constater, le maire n'est dans cette conception même pas un Père Fouettard (de saison, cependant !) mais un simple mouchard-croquemitaine, ce qui n'est certes pas fait pour valoriser son rôle.
Pour couronner le tout, il est naturellement fait mention de deux créations sarkoziennes : les Ecoles de la Deuxième Chance et les Lycées de Toutes les Chances (pas de chance semble-t-il pour celles et ceux qui fréquentent des lycées "normaux" !) qui feront l'objet d'agréments par décret après avis du Conseil National de la Formation Professionnelle. Ici, l'idée n'est pas forcément à rejeter ; mais pourquoi ne pas travailler, dans le cadre du système existant, à en éliminer la nécessité ?
Rares sont les maires qui, l'ayant lu, trouveront dans ce texte, matière à se réjouir. Les réformes fondamentales qui pourraient aider la sécurité quotidienne et surtout garantir l'avenir de tous les jeunes passent nécessairement par une modification profonde des principes et textes concernant le logement social, l'urbanisme, l'éducation et l'orientation des jeunes, les équilibres budgétaires nationaux. La réforme de certains comportements issus de notre culture actuelle -dévalorisation des métiers manuels et du service public, confusion entre politique et marketing, superficialité, absence de travail à moyen terme, ignorance du respect dû à l'expérience et à l'âge, intolérance et racisme toujours renaissants - est elle aussi à entreprendre car la sécurité de tous va nécessairement de pair avec l'intelligence, la compréhension des autres, l'éducation à la fois physique, culturelle et morale de tous les jeunes, bref avec l'humanisme.
J'ai évoqué au début de cette note quelques problèmes et quelques pistes. Il en est également une, qui pourrait intéresser les maires dans leur devoir : la possibilité que la Loi pourrait leur accorder, d'ester en justice pour le compte de leurs administrés. Aujourd'hui, il existe en effet un véritable vide juridique lorsque des victimes d'agressions ne portent pas plainte ou qu'il s'agit de dommages à caractère collectif et/ou inconnu. Ce vide s'accompagne de la part de la population d'un sentiment d'abandon qui peut générer des comportements collectifs dangereux. Il faut naturellement soutenir l' Etat de droit mais admettre aussi, si l'on veut être cohérent, que l'autorité qui a la charge de maintenir la sécurité en premier ressort puisse, elle aussi, opposer le droit de tous aux agissements de quelques-uns.
Il n'est ici nullement question de tout cela, pas plus que des problèmes concernant les media, de la mise en place d'un service civique universel ou du rôle des associations dans le travail d'éducation et de prévention. Cette loi est un texte de plus qu'il n'aurait pas fallu faire : redondant ou inutile dans sa pratique, dangereux dans son esprit. Les maires n'ont aucune vocation à devenir des "sécurimaires". Ce sont pour l'immense majorité d'entre eux, des femmes et des hommes de bonne volonté qui doivent assumer en direct avec leurs administrés, avec humanité mais aussi avec efficacité, les défaillances globales d'un système auquel les politiques nationaux se sont pour l'instant bien gardés de s'attaquer sérieusement. Ils restent cependant prêts à apporter leur expérience et leur savoir-faire à ceux -ou à celles- qui voudront bien, au-delà du prêt-à-porter verbal ou des textes de circonstance, les prendre vraiment au sérieux.