Il fallait s’y attendre…La fin de l’état de grâce se profile à l’horizon et déjà les Français commencent à comprendre qu'il ne faut pas confondre deux choses : le one-man show et les succès tactiques en politique nationale d’une part, et de l'autre, l’exercice nécessairement collectif, stratégique et patient que suppose l'objectif de ramener les véritables intérêts français dans le Grand Jeu international, d’autre part.
Si la prise de pouvoir de Jacques Chirac avait ressemblé à un jeu de bonneteau, celle du nouveau président ressemble à la prise, au Texel en 1795, de la flotte hollandaise immobilisée dans les glaces par les hussards du Premier Consul. Succès spectaculaire mais sans lendemain, Napoléon devenu empereur s’étant révélé incapable de bien utiliser sa marine ou celles prises aux autres, faute de comprendre comment les gérer et surtout les faire commander. Il ne suffit pas d’eng… les amiraux pour se faire des alliés du vent et de la mer, de même qu'il ne suffit pas d'eng..les ministres ou les responsables internationaux pour que la France soit respectée, bien au contraire. En d'autres termes, la conjoncture internationale n'est pas à la botte de politiciens français qui, curieusement, ont sans cesse le mot de "mondialisation" à la bouche.
Sur la scène internationale, les victoires à la Pyrrhus du président s’achètent au prix du sacrifice hâtif de certains pions qui auraient pu servir plus tard et s'accompagnent d’imprudences ou d’engagements inconsidérés. Ainsi, notre implication progressive en Afghanistan, les déclarations irresponsables de Bernard Kouchner sur l'Irak ou l'Iran au moment même où nos amis britanniques, discrètement, sortent de la fondrière. Faire plus Bush que Bush sans même en avoir les moyens, où cela mènera-t-il ? Les rodomontades, défaut traditionnel de la politique française, qui méprise trop souvent les avis d’excellents professionnels pour laisser la part belle à la suffisance, à la superficialité, aux préjugés personnels et surtout à l'inextinguible soif de com' de quelques politiques, se font à nouveau entendre.
En France même les résistances naturelles commencent à jouer, l’effet de certaines forces qui ne sont pas toujours celles que l’on accuse et l’approche de nouvelles élections se liguent pour affaiblir le taureau qui s’était élancé avec fougue dans l’arène : le picador donne les premières lances. Ainsi l’on sait déjà que ce ne sont pas les confédérations syndicales qui bloquent vraiment la réforme de l’Etat- en cours depuis longtemps d’ailleurs - mais la citadelle de Bercy et celle-là, ce ne sont pas quelques batteurs d’estrade qui la prendront. Comme chez le chef d’entreprise qui s’aperçoit qu’il a déjà commencé à trop dépenser pour de vastes projets qu’il a déjà "vendus" à ses actionnaires ou clients, la tentation de faire de la cavalerie, financière et politique celle-là, commence à dominer : Il lui faut absolument conserver son crédit pour que le château de cartes reste debout. Ce qui compte, c'est que les promesses de l'ex-candidat reste crédible, pas de savoir si ses "engagements' tiennent la route.
Pour commencer, on va tenter d’honorer des promesses certes gratuites mais qui ont, par leur caractère démagogique, conquis bien des gens. Au premier rang bien sûr l'immigration, vieille antienne de la doite. Elle permet de pratiquer l'amalgame, exercice politique traditionnel consistant à mélanger tous les sujets pour mieux surfer ensuite sur les peurs et les préjugés, un fonds de commerce assurément inépuisable. On confond donc allègrement les questions de l'assimilation des générations, de la gestion du logement social ou de la non-discrimination et celle, essentiellement européenne, du rythme acceptable de l'immigration. Dans ce contexte le problème des non-papiers est au fond parfaitement mineur mais il est spectaculaire, et c'est la seule chose qui semble-t-il intéresse le président.
Soixante millions de Français sont urgemment menacés et il faut faire quelque chose ! Par quoi, par qui, Chef, où ça ? Mais par quelque 300 000 sans papiers, qu’il s’agit d’urgence de traquer et d’expédier ailleurs : les chiffres des reconduites baissent ! Mais, Chef, on ne peut plus décompter les Bulgares et les Roumains, devenus gentils puisque Européens ! Pas le savoir, prenez-vous-en aux Africains du Nord ou d’ailleurs ! Chef, ils n’ont pas d’argent pour prendre le billet d'avion de retour et il va falloir un nouveau Vel' d'Hiv et des crédits ! M’en f…, faites des exemples ! Chef, on va avoir des problèmes dans la presse, vous avez vu pour le petit Tchétchène ! Z’allez pas faire dans l’humanitaire, en plus ! Convoquez-moi les préfets et ça va danser !
Nous, on a compris et on ne va pas danser sur cet air-là. Les lois sont les lois bien sûr, comme l’étaient aussi celles de l’Etat Français de Pétain soutenu -ne l'oublions jamais- par la grande majorité des parlementaires d'alors. Mais les valeurs de la justice, de l’humanité et aussi, en l’occurrence, l’exercice du bon sens restent nos références premières. Pourchasser des femmes, des hommes, des enfants même, qui ont pour la plupart trouvé chez nous une nouvelle vie dans une entreprise ou une école et ne demandent qu’à être Français, quelle entreprise contre-productive, méprisable et vaine de surcroît, qui se retournera contre vous et vos amis, monsieur le ministre de l’Immigration ! Et vous, Mesdames et Messieurs les Républicains de droite, réveillez-vous, où vous emmène-t-on au nom de la discipline de parti ?
Soyons constructifs. Si le gouvernement craint que Mesdames et messieurs les Préfets ne chôment et ne risquent la décimation anti-fonctionnaires, nous pouvons lui proposer pour eux des occupations intéressantes. Dans les Hauts-de-Seine par exemple, faire respecter la loi, une loi sérieuse celle-là, à ceux qui la défient depuis des années en obligeant des villes notoirement liées à des figures politiques de droite de premier plan à respecter les 20% de logements sociaux. Vérifier que certaine société d’HLM proche du ministère de l'Intérieur ne laisse pas vides pendant des années des logements - comme à Chaville- et que les commissions d’attribution travaillent partout normalement, en respectant les élus locaux. Vérifier l’utilisation des aides aux entreprises en zones aidées, l'environnement des tribunaux de Commerce et bien d’autres choses encore. Il y a aussi le respect des élus locaux et de la démocratie comme à Puteaux ou, à l'occasion, à Levallois ou ailleurs. Entre trouver des logements aux gens qui en ont légitimement besoin et pourchasser des familles animées d'un fort désir -et souvent d'un début de pratique- d'intégration, où est la priorité ? De toutes façons, prétendre régler ce genre de sujets en-dehors de l'Union Européenne qui gère aujourd'hui les frontières extérieures et impulse les droits de l'Homme (et heureusement, semble-t-il) est une entreprise condamnée, sur tous les plans, à l'échec.
Le travail utile, et l’administration préfectorale comme la police et la Justice le savent bien, ne manque pas et tous souhaiteraient que leur qualité soit utilisée à autre chose qu’à des poursuites dégradantes et inutiles car les sans-papiers ne volent pas d'emploi aux Français et sont pour la très grande majorité d’entre eux, gens paisibles et travailleurs. Il suffit d’appliquer tranquillement, de façon humaine et juste, les lois existantes.
Libre à Brice Hortefeux de jouer les boute-feux et de laisser bientôt, peut-être, un triste nom dans l’histoire ministérielle, celui d’un ministre qui, au nom d’un maître qui met la lettre de Guy Môquet* au service de sa communication mais se garde d'en méditer le contexte, aura été un ministre de ratonnades. Un ministre qui en tous cas incarne bien un gouvernement qui, faute de pouvoir montrer un faible jeu au bout de son bluff, cherche déjà de faciles victoires en s'attaquant aux faibles...et qui suit un cap opposé à la vocation de la France et des nations qui partagent sa culture : être dans un monde dominé par l'argent une force en devenir, au service de l'échange, de la paix et de l'humanité.
* Français de 16 ans, communiste, arrêté par des policiers français et choisi sur une liste d'otages par un ministre français.