Deux évènements récents, qui n’ont apparemment aucun rapport l’un avec l’autre, et pourtant… A Londres, la promiscuité entre les milieux politiques et policiers et la presse de Murdoch a déclenché une crise grave et peut-être durable. A Oslo, un double attentat ensanglante un autre pays ami que ses fortes traditions démocratiques, ses ambitions internationales limitées et son éloignement des centres névralgiques de l’Europe aurait pu semble-t-il protéger.
A Paris, pendant ce temps, on se complaît toujours au jeu des petites phrases et le premier ministre, au lieu de témoigner notre sympathie aux Norvégiens, ne trouve rien de mieux à faire que de reprocher mezza voce ses origines...norvégiennes à une candidate cependant que son clan persiste à ratisser l'électorat potentiel du Front National et que Le Figaro s’exerce maladroitement au métier de tabloïd. Belle manière de "faire de la politique"...
Nous pensons, nous, qu’il existe un lien entre ces faits qui sont au fond des révélateurs de crise et qu’il en faut donc tirer conclusion. Paris restera-t-il préservé des turbulences voire d’évènements graves ?
Le renard et le poulailler
La démocratie, le pire des régimes à l’exception de tous les autres comme on sait, a des faiblesses qui y rendent difficile un exercice responsable du pouvoir. Elle est toujours guettée par des dérives d’autant plus pernicieuses qu’elles sont sournoises, surtout quand une longue paix, le changement de générations, l’obsession du court terme et la “grande bouffe” d’une information qu’on ne digère plus se liguent pour faire oublier à beaucoup les leçons d’un passé dont seules deux gnéérations nous séparent.
Parmi ces dérives, il y a le détournement de ce fondement économique de la démocratie qu’est l’affirmation de la liberté économique individuelle et donc d’une vision positive de l’entreprise et du Travail. Sans s'en rendre toujours compte, beaucoup ont transformé un constat de bon sens en une croyance aveugle en un libéralisme érigé en pierre de touche universelle et dont on justifie in petto tous les abus aux dépens d’autres éléments essentiels pour la société. Au niveau des politiques, qui n'ont pas l'excuse des soucis quotidiens, la facilité intellectuelle l'a emporté. A l'arrivée, la politique "magique" au sens de la sociologie l'emporte sur le travail de fond, alors que bien des économistes reconnaissent eux-mêmes que l'Economie n'est pas une science.
Ainsi à droite et parfois aussi malheureusement à gauche la réflexion et le dialogue avec les citoyens se bornent à des considérations gestionnaires, oubliant que le primat de la politique autorise et même oblige à aller au-delà et qu'un pays même si ses finances doivent être bien gérées n'est pas et ne sera jamais une entreprise car il obéit à une autre logique. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas marxiste qu’on doit oublier certaines leçons de Marx et il ne faut pas non plus méconnaître que certaines données de l'économie de marché elle-même ont fondamentalement changé et en particulier le phénomène de la financiarisation.
Faisant fi de tout cela, on a relâché faute de mieux le renard libre dans le poulailler libre où il fait à nouveau de lourds dégâts et un jour les poules pourraient bien en avoir assez.
Bonjour les dégâts !
De fait, les démocraties filent actuellement un mauvais coton, les évènements récents nous le rappellent. Leur gouvernance n’arrive plus à gérer l'effet des media. Quand, au Royaume-Uni mais aussi en Italie ou en France ceux-ci deviennent de plus en plus faciles à instrumentaliser, répandant en quelques heures les rumeurs les plus superficielles voire les plus folles et détournent à l’envi le public des questions essentielles, on devient facilement spin doctor voire apprenti sorcier. Les journalistes eux-mêmes, tannés par des rédactions aux ordres des tycoons et de l'Audimat, ont de plus en mal à rester fidèles à leur éthique. Or jusqu'où peuvent aller des peuples à qui l’on peut faire , volontairement ou non, tout gober ? On ne l'a que trop vu dans le passé.
Parallèlement, dans le domaine économique devenu aujourd'hui principalement financier, la réflexion semble s’être arrêtée : on admet in petto l’idée que la masse des gens n’a qu’à se serrer la ceinture pour échapper aux agressions des « marchés » ralliés par les agences de notation, ce qui revient à dire qu’on constitue lesdits "marchés" en juges de paix du bien public et que la spéculation la plus cynique bénéficie d’une assurance tous risques payée en plus par ceux contre lesquels elle spécule. C’est admettre un étrange raisonnement suivant lequel puisque nous sommes en démocratie, les citoyens n'auraient qu'à admettre les conséquences du déficit intellectuel et moral de leur gouvernance politico-économique et que pour remplir les poches de la spéculation ils devraient, eux, attendre avec anxiété les fins de mois.
A la rigueur, on leur servira l'opium des media. Ceux de Murdoch auxquels, le style en moins, les nôtres commencent à ressembler sous la férule des tycoons hexagonaux, imposent en effet une vision du monde aussi simpliste et dangereuse. A coups de news en boucle sans commentaire modérateur, ils ont fait du « terrorisme » extérieur une menace aussi universelle que mal cernée justifiant toutes les croisades ou atteintes au droit des gens. C’est bien sur faire oublier les dangers que constituent la dérive financière de nos économies, les comportements de dirigeants pavant le chemin des idéologies totalitaires, la gestion irresponsable de l'énergie et du milieu naturel, l’indifférence à la fracture sociale ou l’absence de tout projet porteur et humaniste…et bien sûr l'indépendance des media « lourds » vis-à-vis de leurs sponsors financiers ou politiques. Mais "ça", ça ne se vend pas...
Avec ou sans Murdoch la pensée conservatrice tend de son côté à valoriser et à banaliser les tropismes xénophobes et l’obscurantisme social en acclimatant année après année l’idée que l’extrême-droite pourrait apporter des "solutions" à l‘invasion « islamique », à la “corruption du sang européen” etc.
Est-ce là exagérer ? Sauf à être aveugles le drame norvégien devrait nous éclairer car son auteur revendique la fin ultime de cette logique. Références explicites à la croisade contre les Musulmans (un antisémitisme en vaut bien un autre), rejet du parlementarisme, recours à la violence « purificatrice », conseils techniques à de futurs émules, ça ne nous rappelle rien ? Curieusement d’ailleurs, à partir du moment où le terroriste est blanc, d’extrême-droite et de “culture” chrétienne, il n’est plus qualifié de terroriste et son crime devient l’acte isolé d’un fou. Quand on ne veut pas voir…
Ce qui se passe en Hongrie où le racisme s'affiche au grand jour mais aussi dans bien des pays européens de tradition démocratique devrait pourtant nous mettre en garde contre une gangrène qui, si on la laisse s'étendre, peut faire de l’Europe non une sauvegarde pour la démocratie mais un repaire où il deviendra de plus en plus difficile à la France de conserver ses valeurs. Or ce qui compte avec l'Europe et avant de parler fédéralisme peut être faudrait-il s'en souvenir, ce n'est pas le contenant mais le contenu et aucune formule politique n'est en soi bonne ou mauvaise : tout dépend de qui la pratique et dans quel but.
Que faire ?
En Norvège on assiste au terrifiant passage à l’acte d’une idéologie débile mais aussi têtue que le chiendent et qui a déjà mis dans le passé l’Europe à genoux. Entre la logique du criminel norvégien et celle des SA de 1933, où est la différence si ce n'est que la première n'est pas (encore) collective ? Au Royaume-Uni, c'est à l’exposition ô combien “shocking” des dessous peu ragoûtants de la démocratie médiatisée que nous assistons. Dans les deux cas, les dangers qui menacent nos démocraties apparaissent comme les fumerolles d'un volcan. Il faudrait être bien fou pour refuser de les voir et de les interpréter comme les prémices de graves dérives politiques. Il faut donc réagir mais comment ?
...de vraies réformes durables
Il faut des réformes, mais de vraies réformes bien sûr et non des mesures réactionnaires de type Sarkozy qui ne font que préparer un mauvais avenir. Il faut échapper aux logiques corporatives et technocratiques en matière de logement, d’entreprise, de fiscalité. Il faut reprendre à la base les chantiers de la Défense, de l’Education (à distinguer de l’Instruction Publique) et ceux de l’initiative industrielle et technologique pour préparer une sortie de crise par le haut. C'est difficile certes mais à tous ces problèmes il y a des solutions cartésiennes et politiquement plus acceptables qu'on ne le croit.
...une vraie rigueur
Un comportement responsable et « réaliste » est aussi nécessaire en matière de gestion des moyens et de la dette nationale en particulier. Mais il y a une condition essentielle, c’est qu’il s’inscrive dans une stratégie précise de progrès social, porteuse d’espoir. La rigueur, la vraie, n’est pas une fin en soi. Comme d’autres Européens, les Français sont prêts à entendre parler de sacrifices à condition d'être assurés que ceux-ci n’iront pas au nom d'un "réalisme" qui ne serait que de l'aveuglement bénéficier à ceux qui en profitent déjà ou s'envoler en fumée dans le vent de la spéculation. Ils veulent qu'on joue le jeu avec eux ou bien ils se révolteront en suivant les cas échéant les mauvais bergers. En Espagne, en Angleterre, la révolte jeune et populaire s'exprime déjà. Les Cameron et les Sarkozy auront beau essayer de faire croire le contraire, il est évident que la politique de réaction et de collusion montre déjà ses limites. Et ils feraient bien de relire l'histoire de Von Papen.
...ne pas confondre pragmatisme et laxisme
Il faut comprendre aussi que la spéculation est une conséquence directe de la coexistence entre une liquidité excessive que la mondialisation et le laxisme politique ont rendu difficile à capter et l'absence de possibilités d'investissement positives et durables. Lui donner raison sur le fond ( sur le thème "les Etats sont trop endettés, il faut moins de social et plus d'argent pour les plus riches !") ne sert à rien et ne peut que l'encourager à aller jusqu'au pire. Chercher à passer en force contre le nouveau Mur d'argent n'est pas non plus une solution dans l'immédiat, même Obama ne s'y essaie pas. Quant à l'"Europe" et particulièrement à la Commission, elles abondent dans la vision des banquiers et des spéculateurs, à l'exception peut être des Allemands pour qui le primat de la production réelle reste essentiel. Ils ont probablement raison, comme ont tort les anciens inspecteurs des finances promus dirigeants de banques françaises et qui après s'être bien amusés commencent à trouver que le jeu n'est plus drôle car maintenant ce sont leurs sièges qui sont en jeu.
...un vrai traitement de la financiarisation
Pour faire entendre aux marchés, ce qui est la seule sortie de crise praticable, il faut leur proposer autre chose que la possibilité rémunératrice de gagner de l'argent par des allers-et-retours dans des vecteurs financiers plus ou moins glauques ou de jouer le dollar US contre l'euro ou l'inverse. Il faut leur offrir des opportunités durables et crédibles c'est-à-dire diminuer la liquidité en la rendant utile et non la nourrir, a fortiori la justifier. Pour cela il faut inventer ou réinventer de nouveaux supports financiers qui soient sains, longs et suffisamment rémunérateurs et restaurer la confiance par une politique de développement calme et assurée. Dans cette perspective, la politique suivie depuis des années avec une belle obstination par les institutions internationales ou nationales et consistant à prioriser le bas niveau des taux d'intérêt, nourrit en partie la spéculation avec les conséquences que l'on voit actuellement. Quand le parieur ne peut plus jouer sur le foot, il s'intéresse aux courses hippiques voire au Blackjack et inversement : c'est le gain et le stress du jeu qui sont l'essentiel.
...une vraie politique économique
C'est pourquoi, en ce qui concerne la France, par exemple, il faut une créativité nationale retrouvée, une confiance résolue dans les capacités de notre nation et dans ses espaces d’expansion pacifique : la Recherche, les Espaces maritimes et ultramarins mais aussi le Droit, la Culture francophone, l’Education moderne. Il faut aussi réhabiliter la satisfaction de vrais besoins sociaux comme le logement, l'énergie, l'éducation ou la culture. Ainsi, la puissance financière des institutionnels doit être harnachée au service du pays et de son développement économique et social et non autorisée à jouer contre leur propre maître comme le pouvoir politique ne cesse depuis des années de les encourager objectivement à le faire.
...s'organiser avec d'autres structures
Il faut enfin se doter d’une organisation solide et adaptée : ainsi comment espérer réaliser quelque chose de grand et d’efficace avec une planification nationale inexistante, un ministère des Finances hypertrophié étouffant l’Industrie, un budget Logement ruineux mais socialement inefficace car délégué dans les faits aux professionnels, des méthodes d’enseignement parfois surannées, un équilibre non assumé avec les collectivités territoriales ? Comment accepter que la Mer figure en quatrième sous-titre dans l'intitulé du ministère de l'Environnement ? De vraies réformes donc et non une décimation préalable du service public, condamné sans jugement par des gens qui n'ont rien compris.
Le chef d’orchestre
L’orchestre français, l’orchestre européen sont prêts à jouer et ils comptent d’excellents musiciens. Le talent, la motivation, le travail professionnel sont là où ne demandent qu’à renaître. La jeunesse, d'où qu'elle soit issue, ne demande qu’à s’impliquer et à s’intégrer dans la communauté citoyenne. Notre pays, pour ne parler que de lui, a de solides atouts et ce n'est pas la "note" (!!!) des agences américaines qui y change quelque chose.
Or, au lieu d’utiliser ces capacités, cette énergie latente pour remettre la France en avant, le gouvernement actuel ne cesse de la diviser, de la désinformer et d’exploiter ses défauts, non ses qualités. Il la veut enfermer dans une vision totalement déformée de son identité, au service d’un libéralisme à sens unique dont certains seuls profitent. Aujourd’hui, la gabelle est privée, ce n’est même plus celle du Roi. Tout le monde s’en rend compte, des Indignados au moindre internaute. Dans ce genre de politique de politicien, rien de bon n’est à reprendre.
Mais pour pouvoir en prendre le contrepied, il faut des qualités exceptionnelles. Pour assurer les vraies réformes y compris celles qui mettent en cause les idées reçues une volonté politique hors pair est indispensable. Et surtout, pour inspirer l’espoir, il faut une stature qui inspire aux Français la seule chose qui leur manque, la confiance en eux-mêmes et en l’avenir.
Qualités exceptionnelles, volonté politique, stature : ce sont là les qualités qui font l’homme d’Etat. L’homme d’Etat n’est pas substituable. Il (ou elle) ne s’engage pas par défaut, il (ou elle) est capable d’aller au-delà des conceptions habituelles a fortiori des idées itératives, de dépasser les seules conceptions de gestion et d’en appeler directement aux forces vives comme la jeunesse ou les entrepreneurs. C’est le chef d’orchestre qu’il faut parce qu’il sait non seulement susciter l'élan mais surtout le justifier par une action efficace et rationnelle. A ce moment, François HOLLANDE est sans doute le mieux placé pour tenir ce rôle.
Sachons donc l'appuyer en ne prenant aucun risque avec une éventuelle réélection, faute d'un rassemblement suffisant, de Nicolas SARKOZY et de sa droite UMP : après Londres, après Oslo, Paris ne doit pas devenir une cible de crise, ce qu'il deviendrait inévitablement dans le cas contraire.
En retrouvant un président de la République homme d'Etat, capable non de promettre, de diviser et de faire illusion mais de parler vrai, d'unir et de faire, la France pourra enfin valoriser ses atouts, pour le plus grand bien de tous ceux qui la peuplent et qui l'aiment.