Marxisme chrétien ?
Depuis des années la France, telle une somnambule, marche à la recherche d’une Europe idéale. Au départ, bien des gens s’enthousiasmèrent du superbe projet initié, dans le sillage de la disparition des fascismes, par ceux qu’on a appelés les Pères de l’Europe. D’inspiration chrétienne-démocrate, il se proposait de faire émerger une nouvelle puissance à partir d’un rassemblement des principales économies européennes, à commencer par la France, l’Allemagne alors amoindrie, le Benelux et l’Italie. Tout le monde s’aimerait, la paix serait éternelle en Europe et le niveau de vie de chacun y gagnerait sous la houlette bienveillante de patrons ouverts, efficaces et sympathiques. On pourrait un jour faire pièce aux Etats-Unis, tout en restant blottis sous leur aile protectrice via l’OTAN face à l’URSS car on ne parlait alors ni de la Chine ni de l’Inde. Quant aux idéaux, les valeurs chrétiennes en tiendraient lieu et la tour de Babel s'élèverait, phare de la démocratie éclairant jusqu’à la tanière de l’ours russe. Mais, de façon paradoxale puisqu’on se rapprochait ainsi d'une analyse marxiste, on partait du principe que l’Alpha et l’Oméga de la politique c'était l’économie ou plus exactement, le duo commerce et finance. La politique viendrait aplus tard couronner l'édifice. C’était déjà ce que le Général de Gaulle, avec finesse et malice, appelait l’Europe des Marchands.
La Dérive
A son époque et à celle de ses premiers successeurs, la position française était cohérente. Tout en promouvant le projet européen, on y inscrivait la réconciliation franco-allemande et dans les négociations, limitées au cercle homogène de nations fondatrices, les positions françaises étaient bien défendues. On développait parallèlement une « Francosphère » porteuse pour notre économie et celle de nos partenaires francophones, en tout ou en partie. Nous savions équilibrer nos efforts, respectant les équilibres au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie ou ailleurs. Notre politique européenne ne se résumait pas à une foi de charbonnier fédéraliste. La vision politique donc globale et indépendante, l’emportait sur le réflexe de soumission propre à l’esprit administratif. Une première brèche s’est ouverte sous François Mitterrand avec l’ouverture à l’Est car l’effondrement de l’URSS a relancé l’existence d’une Europe centrale où l’influence naturelle d’une Allemagne réunifiée et recentrée à Berlin a ressurgi, sans être équilibrée par une structure politique du type austro-hongrois donc en laissant orphelines les ex-républiques socialistes, incapables d'atteindre seules une taille critique.
Privée de soutien populaire, une politique européenne est en lévitation...
Mais, loin de percevoir le danger qu’il y avait à vouloir aller plus vite que la musique de l’Histoire, la gouvernance européenne, se moquant du refus populaire, a voulu à la fois accélérer et élargir à l’Est une "construction européenne" qui s’identifie toujours davantage au libéralisme atlantiste, sans jamais poser ni se poser les vraies questions qui pourraient préluder à un vivre ensemble durable. Pour quoi et surtout pour qui tout cela, avec quelle Défense l’Europe peut-elle se rendre vraiment indépendante dans un monde où seul celui qui a des armes existe vraiment? En quoi consisterait une future Culture européenne et comment vivrait-t-elle, en particulier sur le plan linguistique et littéraire ? Comment une Tour de Babel peut-elle rester debout en penchant de plus en plus vers l'Est ? Entend-on y faire parler l'anglais qu'on apprend de plus en plus mal et qui n'est pas la langue des "gros bras" du continent et alors que la principale place financière et commerciale européenne, Londres, n'utilise pas l'euro ?
Quant aux Britanniques, justement, qui ont pourtant laissé sur le continent avec les ANZAC, les Canadiens et tous nos ultramarins, en gage sanglant de leur européanité, des centaines de milliers des leurs pour combattre en Europe et y défendre nos libertés en 14 comme en 40, ils se seraient paraît-il d’eux-mêmes exclus de ce futur paradis piloté par un couple franco-allemand où l’on voit bien maintenant qui porte la culotte. Et, mauvais prétexte s'il en est, on leur reproche cet "atlantisme" qu’on laisse pourtant allègrement pratiquer par la Commission Européenne et inscrire en filigrane grossier dans les traités. "Incompatibles" avec l'Europe continentale et chrétienne, les Anglais, les Ecossais, les Gallois? Les Russes, orthodoxes donc schismatiques, le seraient aussi bien sûr tout comme les Turcs musulmans. Où est la cohérence de tout cela, sans même parler du grand silence sur le plan social (et pour cause) ?
La tête sur le billot
Entretemps, une autre évolution, plus pernicieuse, sape les bases de cette Union Européenne (UE) que l’on persévère à confondre avec l’Europe, laquelle est un concept géographique pérenne. L'UE n’en est pourtant qu’un avatar, par nature momentané. De la même manière on mélange l'économie de marché - naturelle à la société humaine- avec le libéralisme qui est un modèle idéologique comme un autre pour cette société. En effet, malgré le NON clair et net du peuple français au projet de Traité Constitutionnel Européen certains responsables politiques, suivant une ligne que l’on pourrait qualifier d’euro-techno et faute peut-être d'arriver à avancer sur des problématiques nationales complexes et tenaces, n’ont pas abandonné leur rêve fédéraliste. Peut-être espèrent-ils ainsi résoudre ou faire oublier nos difficultés nationales même si tout porte à croire qu'en élargissant le théâtre d'opérations on maîtrise de moins en moins les fils de l'action.
Comme dans d’autres états européens, ils ont réussi à faire souscrire la représentation nationale à une accélération du processus. On les a vus pousser à l’élargissement de l’Union Européenne puis à la mise en place de l’Euro accompagnée de ses fourches caudines budgétaires. Quand saisiront-ils que dans l’UE le vote pondéré, la division des pouvoirs, l'utilisation d'une langue tierce mettent les Gulliver affaiblis à la merci de Lilliputiens sans industrie dont le jeu, quelque part, consiste à faire s’agenouiller les grands tout en bénéficiant de leurs apports et à favoriser ce qui les intéresse, le commerce et la finance. C'est d'ailleurs, de leur point de vue, fort légitime et ce n'est donc pas un hasard si le "patron" de la Commission est aujourd'hui un citoyen grand-ducal et libéral.
Dans la même logique, on pousse aujourd'hui les feux pour le désarmement douanier et culturel sur l’Atlantique Nord et ce au mépris de l'exception culturelle, un concept trop défensif mais qui au moins existait (exception à quoi et pour combien de temps ?). On cherche même à attirer l’Ukraine, sur le même méridien que la Turquie, dans l’orbite de l’UE. Bonjour les nouveaux problèmes !
De plus, omnubilés par leur croyance fondamentaliste en l’«Europe », nos euro-technos n’ont pas vu et cela vaut principalement pour Nicolas SARKOZY, que souscrire ou avaliser au nom de la France des engagements budgétaires irréalistes et sans doute inutiles pendant qu’on creusait la dette du pays et guerroyait en Libye ou ailleurs, revient à accepter qu’on lime les dents du pays et obère ce faisant son avenir. Or, cet avenir ne saurait se limiter à être un docile mouton européen dans un monde dominé par le libéralisme lequel, à l’arrivée, ne reste jamais apatride mais est récupéré par l’une ou l’autre puissance qui, elle, ne craint pas de s'affirmer.
On nourrit ainsi le cercle vicieux en encourageant une Europe de plus en plus soumise aux intérêts et à la culture américains* alors qu'elle était censée s'en libérer pour devenir une puissance mondiale. OTAN inscrit dans les traités, "libre-échange" orienté, utilisation galopante de l'anglais, puissants et efficaces lobbies des Monsanto, Philipp Morris etc. à Bruxelles où la corruption prospère aussi, engagements coûteux à l'extérieur payés par une France qu'on veut en même temps faire passer sous les fourches caudines et priver progressivement de ses atouts, escarmouches au sein du soi-disant couple franco-allemand, tout cela ressemble au cours de plus en plus rapide de la rivière qui annonce la cataracte.
A trop fréquenter Bruxelles et Berlin, on peut finir par oublier que ce n'est pas seulement la France qui est en cause mais l'ensemble d'une Francosphère de quelque 250 millions de citoyens, c'est-à-dire des nombreux états, pays ou communautés, qui font depuis des siècles confiance à la France, à son droit, à ses universités mais aussi à ses entreprises ou à sa défense et dont nous sommes bien plus proches que de bien des pays de l'Ouest du continent. Or c'est aussi grâce à eux que nous vendons et existons de par le monde, tout comme les Américains se servent astucieusement de l'OTAN comme d'un gigantesque levier commercial qui fonctionne d'ailleurs très bien en Europe. On oublie aussi et c'est pourtant essentiel, que les liens du sang, de la liberté et de la culture sont autrement plus solides que les affinités du commerce, de la finance ou de la proximité géographique. Or, les peuples ne font pas passer pas à l'utile avant l'essentiel.
De toute façon, il est de bon sens qu’on ne saurait construire un projet européen sur la base de la domination d’une seule puissance continentale et d’une seule idéologie. Or, le Royaume-Uni hors-jeu, l’Espagne et l’Italie puis la France affaiblies sur des critères purement économiques et monétaires, qui reste-t-il ? Le « succès » des médecines libérales, où est-il ? La parité USD/EURO, le niveau des bourses et l’évolution du paysage politique européen avec la montée des votes extrémistes et le maintien dans l'UE de régimes tels que celui de la Hongrie leur répondent. Pourquoi d'ailleurs une Commission et un Parlement de l'UE où se réfugient bien des politiciens qui ne sont pas toujours le premier choix des milieux politiques nationaux auraient-ils des états d'âme sur ces sujets ?
Pourquoi ?
Pourquoi persévérer ainsi malgré les critiques justifiées et le vote populaire, sur les points les plus contestables de la politique européenne ? Pourquoi poursuivre à marches forcées une forme d’intégration internationale qui impose aux Français, en échange de bénéfices illusoires, des contraintes très dures et même, sur plusieurs points, porte une atteinte aux intérêts vitaux de notre pays ? Pourquoi conserver cette ligne politique euro-techno qui semble relever davantage d’un parti-pris libéral ou chrétien-démocrate que gaulliste ou a fortiori socialiste ? Et pourquoi poursuivre ce petit jeu qui consiste, pour les gouvernements successifs de la France, à partager à Bruxelles des prises de décisions qu'ensuite ils vilipendent, dissimulent ou répudient et transcrivent en traînant les pieds et sans explications, au plus mauvais moment, dans notre législation ?
Pourquoi brader en bloc ce que nos gouvernements d’après-guerre ont eu tant de mal à reconstruire, à savoir une France indépendante par son énergie, sa défense et sa culture et promouvant avec les nations amies un modèle original dans la seule concurrence internationale qui compte, celle des cultures ? Pourquoi recommencer à négliger notre potentiel ultramarin (au sens large) qui nous est ce qu'est l'Europe centrale et orientale aux Allemands, à savoir un marché potentiel dont notre économie a besoin ? Pourquoi avoir amené la France, sans négociations sérieuses, à souscrire des engagements dont on savait bien qu’elle ne les pouvait tenir car dans la course en sac dont nous avons signé le règlement, elle est en sac et pas les autres? Clairement et Nicolas SARKOZY le premier, ils ont posé la tête de la France sur le billot. Pourquoi ?
*Les Américains, qu'on sous-estime beaucoup, en sont si conscients qu'après avoir freiné l'évolution européenne ils la favorisent aujourd'hui : l'euro est venu soulager le dollar US comme monnaie de réserve, les Européens et particulièrement la France tirent gentiment à leur place certains marrons du feu en Afrique ou au Moyen-Orient, les lobbies US s'en tirent très bien à Bruxelles et l'Ost-Politik de l'UE leur convient parfaitement car plus on va à l'Est, plus les acteurs leur sont acquis. C'est qu'ils ont, eux, une stratégie...et une fierté nationale.
L’okapi, un étrange animal
Les réponses à cette question sont à la fois simples et complexes et mériteraient tout un développement car elles sont d’ordre à la fois historique, psychologique, politique et parfois même moins noble. La principale d’entre elles nous semble l’émergence d’une doxa à laquelle une bonne partie de nos milieux dirigeants, souvent issu de métiers ou de fonctions où le conformisme est le plus sûr moyen de percer, adhèrent allègrement. Selon cette doxa, qui s'adresse d'abord à des esprits formatés, une seule politique serait possible et "moderne": le libéralisme. Cela pourrait à la rigueur se défendre (!) mais sous réserve d’annoncer la couleur au départ, ce qui serait plus clair pour les électeurs et alors, tant qu'à faire, de pratiquer un libéralisme "pur jus".
Mais c’est un libéralisme sans imagination, issu d’un croisement entre administration et finance, un okapi qui en rassemble hélas les défauts plus que les qualités. De l’administration il a gardé l’idée qu’on pouvait réussir par la seule manipulation du levier fiscal et des économies sur le service public, sans modifier en quoi que ce soit ni l’économie interne des gros budgets voire en les augmentant (à part, traditionnellement, celui de la Défense qui sert de parachute ventral du fait de sa structure particulière) ni l'économie interne d'administrations arthrosées. De la finance, l’idée que les grands trusts privés ont le monopole de la bonne gestion alors qu’ils vivent largement, à l’instar de leurs confrères américains, aux crochets des ressources publiques : défense, espace, transports, énergie ou eau. Mais à la différence du libéralisme "pur jus" l'Okapi n'est guère entrepreneur ni entreprenant et tend à se soumettre craintivement aux diktats des uns ou des autres sous prétexte de réalisme et de mondialisation.
Par contre il ne craint pas l'incohérence, la dépense publique étant censurée en fonction de son auteur et de sa forme, non de ses résultats. Ainsi, certains budgets militaires sont censurés mais qui songe à remettre en cause l'opération "Balardgone", encore moins à la sanctionner si les juges ne s'en chargent pas ? Dès qu'elle est déléguée aux grands groupes, la dépense publique devient subitement, aux yeux des mêmes contempteurs, vertueuse alors qu'en fait elle devient incontrôlable et pérenne*. De même on sanctionne la dépense des collectivités territoriales, vitale pour la relance économique et le secteur social (de compétence départementale) principalement parce qu'au travers de la suppression de ses dotations de fonctionnement en leur faveur l'administration de Bercy peut jeter un peu de lest pour se donner une apparence de rigueur vis-à-vis de Bruxelles ou de Berlin. Pourtant, contrairement à l'Etat, les collectivités ne peuvent présenter de budget en déséquilibre et l'essentiel de leur budget repose sur des ressources autonomes. Tout n'y est certes pas parfait mais par rapport à l'Etat...
Les exemples abondent, à tel point qu’ on a parfois l’impression que dans les "milieux autorisés", on n’aurait rien contre le retour des fermes générales de nos rois, autrement dit la délégation au privé de la perception de l’impôt. Juste un petit problème : cela s’est très mal terminé. Vous riez ? Pensez aux portiques de l’écotaxe, aux très mal nommés « partenariats public-privé* », à la politique commerciale de la SNCF divorcée du RFF, au subventionnement de la construction de logements à des sociétés HLM largement privatisées, aux vraies-fausses réformes des ministères menées à grand renfort de coûteux concours extérieurs et de ventes de patrimoine, à la politique parfois surprenante de l’Etat actionnaire, au laxisme vis-à-vis des banques et à la revente prochaine des entreprises porteuses de réseaux etc. Que d’argent gaspillé et d’atouts galvaudés dont beaucoup ne reviendront pas et, dans le cas des risques non maîtrisables par le privé (nucléaire, avions XXL, ferroviaire) de dangers en perspective ! Imagine-t-on sérieusement confier, comme au Japon, des responsabilités de sécurité publique à un secteur privé qui ne peut et veut faire les investissements nécessaires car son actionnariat le lui interdira dans les faits ? Même Napoléon III semblait avoir compris cela...
* Ainsi, en signant d'énormes PPP (partenariats publics privés) l'Etat s'engage à payer pendant des dizaines d'années des annuités colossales qui impliquent pour lui d'acheter à des entreprises privées au devenir incertain, de l'argent bien plus cher que le marché sans pouvoir, le cas échéant, faire état d'une prestation mauvaise ou nulle pour "s'en sortir". De plus le gouvernement ne peut, sur un investissement donné, changer de politique même s'il s'y est engagé : les défenseurs de ce gâchis arguent du fait que les indemnités à verser au partenaire seraient alors trop élevées et que donc il n'y a qu'à continuer... Ainsi, même si le Balardgone (Pentagone français) devient inutile, que le gouvernement change ou que le partenaire privé fait faillite, il faudra tout de même indéfiniment payer...Cerise sur le gâteau et c'est d'ailleurs pour cela qu'ils ont été inventés, les PPP émargent "pleins pots" au budget de fonctionnement (justifiable du budget de fonctionnement donc des 3% !) et non d'investissement, finançable bien plus économiquement (argent moins cher et annuités beaucoup moins élevées) par l'emprunt long terme. A l'arrivée, on a court-circuité le processus normal de décision politique au profit des grands groupes privés et au détriment du contribuable et du citoyen. C'est ça la gestion "Okapi"...
Il y a aussi bien d’autres raisons comme le refus de remettre en cause les véritables gouffres budgétaires que sont les modes de fonctionnement des ministères les plus importants et les modalités de collaboration (c’est vraiment le mot) avec le secteur privé encouragées par une proximité qui confine parfois à la promiscuité entre haute administration et finance. Il y a aussi la faiblesse dans la négociation de nos intérêts européens, le casting inadéquat de certains postes-clé et par-dessus tout un conformisme intellectuel sans exemple dans l’histoire de France et qui barre la route à l'imagination, très mal vue dans les partis tout comme la compétence technique de terrain.
Au fil de l’eau
Nos partenaires européens le savent bien, la légèreté est l’un de nos défauts. Sur le chapitre européen, nous nous sommes grisés de la magie du Verbe et nous avons tous plus ou moins fait le rêve prométhéen qu’elle existerait à notre image, comme animal politique indépendant et humaniste. Bref qu’il s’agirait d’une méga-France. Nous nous sommes imaginés que notre culture y jouerait un rôle essentiel ce qui serait après tout justifié et que nous garderions en main les solides atouts que sont notre Défense, notre indépendance énergétique, notre Droit, notre système social, nos territoires dans le monde entier. Nous nous sommes trompés et nous avons alors, majoritairement, voté pour dire : « Nous voulons bien l’Europe mais pas comme ça ! Il n’y a pas le feu en l’espèce et ce n’est qu’un sujet parmi d’autres ». Nos dirigeants nous ont répondu. Mais c’était pour nous dire : « Nous on sait, c’est ça l’essentiel, les Economistes nous l’ont dit (en fait ce sont plutôt les lobbies qui l’ont soufflé) et si ça ne marche pas c’est de votre faute : vous vous vautrez dans le luxe et la facilité, il va falloir que ça change ! Demain ça ira beaucoup mieux, faites des efforts, vous verrez !». Bref si l'on n'est pas d'accord avec l'Europe à l'Est des marchands, on ne peut être qu'un idiot ou un sectateur de Marine.
Churchill promettait la liberté en échange du sang, de la sueur et des larmes. Les commissaires européens, eux, ne promettent rien d'une politique ultra-libérale qu’il est d’ailleurs normal de prôner lorsqu’on vient de l’ex-bloc de l’Est ou de petits états vivant du commerce ou de la finance. Pourquoi ? Les Français sont en droit de le savoir, surtout après avoir signifié par leurs votes leur doute, puis leur inquiétude, enfin leur insatisfaction au sujet de l’évolution de l’Union Européenne. Or ce sont en principe les Etats et le Parlement Européen qui dirigent l’Europe, non la Commission. C'est donc à eux de répondre, ce qu'ils ne font pas. Ils justifient encore moins leurs options de façon crédible.
Pour autant, la plupart des Français savent qu’il faut faire des efforts et sont disposés au coup de collier mais à deux conditions impératives. La première, c’est que le principe d'égalité soit respecté et que l’on voie clairement que les gouvernants portent le fer là où il doit être porté et pas ailleurs, sans tenir compte de leurs avis. Jadis, on acceptait en maugréant la corvée, si elle servait à construire des fours banaux ou à consolider les remparts du château. La seconde, c’est que l’on reconnaisse enfin une vérité très simple, c’est que la croissance donc l’emploi sont d’abord un problème de nouveaux marchés solvables, d'investissements porteurs, d'imagination et non un problème de fiscalité, qui se transforme souvent en un jeu pas drôle à somme nulle.
Devant l’absence de réponse crédible, on est aujourd’hui en droit de se demander si les institutions de la Cinquième République, adaptées à un pays fort, ne se retournent pas contre un pays engagé de façon légère sur la voie de l’abandon de souveraineté, donc d’identité. Paradoxe suprême, ces institutions conçues pour en finir avec l’influence délétère des factions permettent en effet aujourd’hui, au nom de la discipline de parti, d’imposer au pays malgré le sens de ses votes, des concessions qu’il n’aurait jamais acceptées autrement. Avoir entendu discuter sérieusement de l’introduction éventuelle de critères budgétaires dans la Constitution ( !) montre assez où l’on en est arrivé aujourd’hui dans l’adoration, vaine de surcroît, du Veau d’Or.
Vaine, car en fait personne n’attend rien d’un auto-démarrage de l’Union mais espère in petto la reprise américaine. D'ailleurs, les fameux 3% dont on a fait la clé du système n'étaient nullement prévus pour faire redémarer l'économie en méforme du sous-continent mais pour protéger l'euro des dangers de l'inflation, ce qui en relativise la nécessité compte tenu de la surliquidité des marchés. Notre actuel président était bien inspiré de se méfier de la Finance.
Tout sacrifier pêle-mêle à cet objectif c'est donc bien sûr compromettre le présent de la France aussi bien que son avenir en UE comme ailleurs, ce qui ne veut pas dire que l'arthrose de l'Etat ne doit pas être soignée ni une nouvelle dynamique, mise en place.
So what ?
comme diraient nos amis anglo-saxons : et alors ? Alors il est encore temps, dans l’intérêt même de la politique promise en 2012, de faire évoluer les choses. Tout d’abord, que cela plaise ou non à certains, nous ne sommes pas devenus un état fédéral lambda sous prétexte qu’on a mis des drapeaux de l'UE aux façades des administrations. Et de la manière dont ils s’y prennent, la fédération européenne n’ est pas près d'exister, en tous cas sur les bases actuelles. S’ils insistent, il y aura une crise grave et sans doute pour très longtemps, ce qui serait dommage pour l’idée européenne.
Il importe donc de calmer le jeu et d’expliquer à nos partenaires qu’il y a peut-être eu un malentendu et qu’il faut de bonne foi s’en tenir à des engagements tenables et utiles. La France n'a pas à se laisser pousser dans les cordes alors qu'elle prend en charge une partie substantielle de la Défense de l'UE. La priorité aujourd’hui est donc d’obliger le monde interlope de la gouvernance européenne à descendre de ses confortables perchoirs et à montrer de quoi il est éventuellement capable, dans l’intérêt des gens, plutôt que de se constituer en un tribunal dont le but officiel est de préserver la valeur de l’euro mais le véritable dessein est d’asseoir la suprématie des marchands sur les guerriers. Or ce qui intéresse un marchand, c’est d’abord l’argent et il faut bien qu’il soit pris à quelqu’un. Le gang (au sens anglais du terme : Gang of Four ou bande des Quatre) des agences de notation, les avis autorisés et contradictoires des économistes, les admonestations bruxelloises, tout converge vers le good business. Bien des appétits sont aiguisés par la perspective de dépouilles supplémentaires...malheur au retardataire du troupeau : les chacals de la finance sont là et se pourlèchent déjà les babines.
A qui profitent les privatisations, les aller-retour de l’actionnariat public avec d'étranges critères, la protection du secteur bancaire contre ses propres erreurs, les partenariats léonins public-privé ? Ouvertement en Grèce ou au Portugal, de façon plus voilée en Espagne et bientôt en France, ce sont les milieux financiers qui désapprenant le métier bancaire, préfèrent le casino de la liquidité internationale ou les fructueuses activités de déconstruction ou d'affermage des services publics. Certains ont même su s'infiltrer au coeur même des gouvernances politiques nationales ou européennes, attendant le moment propice pour récupérer les ballons une fois revenus dans le privé.
Où les Athéniens s'atteignent...
On peut critiquer Margaret Thatcher à bien des égards, mais la droite française ou plus exactement l’épisode sarkozien nous ont malheureusement mis dans une situation telle qu’il va bien falloir l’imiter et mieux vaut le faire maintenant, en renégociant avec le Colt sur la table s’il le faut. Ce ne sont pas les arguments qui manquent. En serons-nous capables plutôt que de nous faire couper la tête par des bourreaux de rencontre pour avoir voulu, dans ce domaine comme dans d’autres, chausser les bottes de la gouvernance précédente ? Si cela fait peur, qu’on se rassure. Après tout, la Commission ne nous enverra pas les chars, car c’est nous qui les avons. Car la dernière des choses serait d’ajouter l’humiliation à des erreurs dont à ce stade nous ne sommes pas encore responsables. Cela, les Franaçais ne nous le pardonneraient pas et mieux vaudrait alors oublier 2017.
Renégocier, donc et pas uniquement sur les 3%. Mais il y a plus pénible encore. Dans le discours des Diafoirus, intéressés ou non à vendre des médicaments, qui crient avec toute l’autorité de la Faculté « La dépense publique, vous dis-je » ! une seule chose est vraie, c’est qu’il y a des gaspillages. Le problème, c’est que leur diagnostic incomplet ou intéressé porte à faux. Si la France est en panne aujourd’hui comme beaucoup d’autres pays, c’est d’abord un problème de marchés saturés ou mal ciblés, d’incertitudes politiques et idéologiques, de perte de confiance de citoyens baladés par les refrains des media.
Mais elle à porter, en plus, un vrai sujet avec son secteur public, comme tous les pays d’envergure mondiale. Pour certains, aveuglés par leurs convictions ou leur intérêts, la solution est simple : que la France redevienne un état lambda en Europe et change de culture en cassant son service public comme en Grèce ou en Espagne. Ouf ! On n'aura plus à gérer de problématiques mondiales, tout remontera à Bruxelles. Après tout, peu leur chaut si l’on parle anglais dans cinquante ans dans nos entreprises, si notre système de santé rattrape par le bas celui des Etats-Unis ou du Royaume-Uni, si les agriculteurs se suicident et si la misère envahit les rues, si nos marchés d’export jadis sous-tendus par notre influence internationale s’effondrent, rendant notre commerce extérieur plus catastrophique. Le libéralisme aura eu raison et cela leur suffit. Pour eux la culture, la défense, les collectivités territoriales ne sont que postes budgétaires. Contenu politique, zéro. Peut-être devraient-ils réfléchir à la fin des républiques italiennes du Settecento, tuées par l'Argent même qui avait fait leur gloire.
Nous croyons, nous, à de vraies solutions. Il faut certes porter le fer, mais pas sur l’essentiel de la fonction de solidarité de l'Etat. C’est l’arthrose du service public, son fonctionnement, son architecture de responsabilité et de contrôle, sa promiscuité avec le privé qui posent problème. Il faut donc la soigner. Il faut que Bercy redevienne le fer de lance de la maison France qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être après la stupide suppression du Plan en aidant vraiment nos industries sans jouer le rôle de mouche du coche ni celui du tondeur de mouton qui passe son temps à calibrer la tondeuse : trop près on blesse le mouton et on gâte la laine, trop long on perd de l'argent.
Mais il faut aussi aller de l’avant. La priorité ne doit plus être de manipuler le joystick fiscal, de décimer sans logique de fond et de puiser dans la traditionnelle cassette de la Défense car elle a un fond (à moins que l’on ne veuille liquider aussi la dissuasion, notre principal atout dans la négociation européenne) mais de découvrir et d’acquérir de nouveaux marchés, de stimuler la qualité, de prendre le contrôle de secteurs de production à l’étranger, de coordonner et de planifier l’action du « soft-power » français grâce à l’investissement : culture, défense, industries marines. Il faut reconstruire une administration qui ne joue plus à redistribuer ce qu’elle a prélevé en trop mais apporte une réelle valeur ajoutée, ce dont elle est tout à fait capable vu la qualité de ses personnels et sa haute tradition, si elle retrouve la confiance en des chefs capables de rester fidèles à leur engagement et de ne pas vouloir décimer leurs propres troupes comme dans le privé.
De fait, quand on considère l’ensemble des budgets -Défense exclue- à plus de 30 milliards (Education Nationale et ses dépendances, Logement, Finances), on aborde la région des questions jamais posées et des tabous (les vrais) alors qu'il ne s'agit pas de remettre en cause leurs missions, mais de les obliger à bien l'exercer, ce qui n'est pas toujours le cas et toute la France le sait. C’est là que résident des marges de manœuvre fortes et mobilisables à bien plus court terme que la « réforme » des acquis sociaux, sans compter ce que nous sommes en droit de réclamer à l’UE pour sa défense contre les menaces stratégiques ou terroristes, soit plusieurs milliards d'euros par an.
Avoir le courage de mettre en cause ces tabous-là, de remettre à leur place les intérêts financiers ou corporatifs qui mettent l'Etat en coupe réglée ; mettre fin à l’osmose entre la haute fonction publique et le privé, punir sévèrement les signataires ou inspirateurs de contrats léonins... pour l’Etat, c’est le prix à payer. Revenir, aussi, à une politique extérieure aussi présente mais plus équilibrée et donc moins susceptible de générer des aventures pouvant porter atteinte à notre commerce extérieur et à notre sécurité. Après tout, ce n’est que le programme d’origine du Président qu’il s'agit appliquer, une nécessaire maturation s’étant opérée. En résumé, il nous remettre l'église (sic) au milieu du village et nous délivrer d'obsessions nuisibles : la Commission européenne n'est pas notre Chef de Service et il y a bien d'autres terrains d'action plus utiles, moins hasardeux et plus productifs pour la France dans le monde que Bruxelles et le Proche-Orient.
Les Français n’en demandent pas plus, ils feront le reste et à ce moment-là, on pourra reparler de l’Europe et de son fabuleux destin. Pourquoi ne pas envisager une Confédération d’états libres, plus ou moins sociaux, plus ou moins humanistes, plus ou moins porteurs d’une culture originale au lieu d’un rassemblement artificiel, sous l’oriflamme du libéralisme et de l'OTAN, sans objectif humaniste face à la misère croissante des Européens et affublé de surcroît d'une gouvernance de médiocre qualité ?
Pourquoi ne pas abandonner l'idée risible d'un couple germano-français pilote d'une europe technocratique et reproduisant le système politique autrichien du "Schwarz-Rot" où les pseudo-élites des deux grands partis se partagent le pouvoir, s'il en existe un, au Parlement européen ? Elle ne peut que s'effondrer sous la double pression de la Géographie et de l'Histoire et entraîner avec elle, pour longtemps, le concept européen.
Une Europe qui marche doit d'abord rassembler toutes les puissances européennes y compris le Royaume-Uni. C'est tout-à-fait possible à condition de négocier sérieusement, si l'on prend en compte des intérêts vitaux de chacun. Elle ne peut se fonder sur le vote par ordre, la priorité à l'Economie (en réalité, aux intérêts privés européens et américains qui sous-tendent la vision libérale), la soumission aux Etats-Unis pour sa défense, le négationnisme culturel vaguement anglophone que ni les Français, ni les Allemands, ni même aucune des nations de haute culture du sous-continent n'accepteront. Négliger tout cela et pratiquer la fuite en avant est peut-être possible quand il s'agit de partis (et encore...), pas quand des peuples et non seulement leurs élus, sont concernés. Il faut donc, sous peine d'aller à l'explosion, redonner la main à une vision politique, équilibrée et à long terme. On n'en prend pas le chemin, mais l'Histoire a le temps et se moque des Tours de Babel qui en jalonnent le cours...
En attendant un nécessaire rééquilibrage, notre rapport à l'Union Européenne doit être considéré comme une variable et non comme une constante de l'équation politique. Sinon, celle-ci va devenir insoluble. Quant à nous, faisons d’abord gagner Colbert contre Fouquet et la France, qui a bien d'autres choses à faire que de s'enfermer dans un dialogue de sourds avec Berlin et Bruxelles, s’en sortira. Aujourd'hui, ce n'est pas un Jupiter aboviné qui enlève la belle Europe aux Cieux, c'est l'impétueux taureau du libéralisme qui l'emmène on ne sait où..