En Bretagne comme ailleurs, nos campagnes regorgent d'installations d'élevage avicoles ou porcines abandonnées. Certaines sont en pleine campagne, d'autres sont aujourd'hui en site urbain constitué. Les démolir à grands frais (l'amiante y est souvent présent) pour cultiver à perte sur l'espace récupéré ? Beaucoup d'exploitants s'en soucient peu, ayant actuellement d'autres soucis, comme survivre ou assurer la pérennité de leur exploitation si par hasard leurs enfants veulent bien s'y engager...
En attendant que les Survivors de l'agriculture puissent vivre du bio "authentique", peut-être l'Etat pourrait-il s'intéresser à ce sujet concret, loin des fantasmes communautaires, lois événementielles ou autres. Il y aurait là un plan national à mettre en oeuvre, susceptible de créer des emplois et de permettre à la profession de reconstituer du capital pour diminuer son endettement et éviter la faillite ou de retrouver du fonds de roulement pour financer le passage au Bio...
Mais en-dehors du rendez-vous annuel du Salon de l'Agriculture et des aumônes de trésorerie quand les manifs prennent trop d'ampleur, le personnel politique qui courtisait autrefois les agriculteurs semble considérer aujourd'hui, par sectarisme ou par cynisme, que cette catégorie de Français n'est plus suffisamment "rentable" politiquement pour valoir la peine de s'en occuper. Sur les épreuves qu'elle endure, sur la problématique de fond des différentes filières, on fait donc l'impasse, au bénéfice probable du FN. Mais la profession est, elle aussi, un peu responsable de ce qui lui arrive.
A 500 m du bourg, depuis des années...
Posons le problème...
Depuis plusieurs dizaines années ces ruines agricoles s'accumulent, tandis qu'en général des installations beaucoup plus grandes et plus "modernes" ont proliféré au voisinage, balisant les maux qui affectent le monde agricole français : surproduction plus ou moins grave selon les secteurs ; dépendance de mécanismes de marché et de circuits de distribution sur lesquels ils ne peuvent plus peser ; fondamentalisme européen de dirigeants politiques qui ont fait de l'UE un acte de foi personnel au lieu d'un moyen de défendre la qualité de vie de leurs concitoyens et qui gèrent le sujet à court terme ; comportement de bien des paysans eux-mêmes qui ne veulent rien changer et, vivant un quotidien de plus en plus souvent dramatique, en oublient qu'ils ont en main une partie de leur propre destin en tant que sociétaires des grands commercialisateurs, par exemple les "monstres" laitiers comme la SODIAAL ou le Crédit Agricole. Que faire ? Raisonnons par induction, partant d'un cas concret pour essayer d'extrapoler ensuite.
Esquisse d'une solution positive pour les délaissés agricoles
A court terme, il faut agir de façon efficace sur un problème visible, financièrement maîtrisable et qui n'implique pas de revenir sur la politique "européenne" car, aussi néfaste soit-elle, celle-ci présente aux yeux de la caste politico-administrative le triple avantage de renvoyer ailleurs la responsabilité de l'action, de générer moult postes confortables et de rendre toute politique agricole de fond à peu près impossible à cause du credo libéral et atlantiste de la Commission. De plus, on pourrait valoriser une action intersectorielle car le sujet des installations abandonnées concerne à la fois l'urbanisme, donc les collectivités au titre des PLU communaux, les agriculteurs locaux bien sûr en leur permettant le cas échéant de retrouver quelques fonds propres et leurs financeurs (Etat et organismes financiers). L'aspect écologique n'est pas neutre, en ce sens qu'outre la disparition de foyers de matières polluantes les aides nouvelles pourraientent être contractualisées. Les entreprises enfin, en particulier dans le BTP, pourraient bénéficier d'un marché supplémentaire appréciable.
Concrètement, on pourrait probablement distinguer entre les sites urbains car depuis des dizaines d'années car la "rurbanité" a progressé, encerclant bien des anciennes installations et d'autre part les sites en rase campagne. Dans le cadre d'une incitation faite aux communes à procéder à une révision ad hoc de leurs PLU, les premiers pourraient faire l'objet d'une autorisation de rendre des terrains anciennement agricoles constructibles à des fins d'habitation, générant un apport de capital dont l'usage pourrait être contractuellement régulé (passage au bio par exemple). Quant aux autres, le financement de leur démolition pourrait être subventionné dans des conditions plus favorables pour aboutir au même résultat. Les ministères ne manquent pas d'experts pour mettre au point un système qui, administré au niveau régional par exemple, permettrait d'amorcer une logique micro-économique, pour une fois positive. L'Etat y retrouverait son vrai rôle, celui d'initiateur utile ; les banques, de la confiance dans le secteur ; les agriculteurs, le sentiment qu'on accompagne leurs efforts pour aller de l'avant et qu'on cesse de mépriser leur métier et plus généralement leur valeur ajoutée d'aujourd'hui et de demain.
Reconquérir le pouvoir corporatiste dans les filières techniques et la finance...
Si l'on pratique maintenant un zoom arrière, rien n'empêche de penser qu'une (vraie) réforme, beaucoup plus globale, pourrait être entreprise dans le monde agricole pour lui redonner cette puissance que la France est en train de perdre au profit d'autres états, européens ou non, qui passent leur temps à autre chose qu'à s'en prendre à la monture des erreurs du cavalier; Un premier effort est à faire nous semble-t-il du côté du monde paysan lui-même. Même si de nombreux agriculteurs essaient de s'en tirer par un surcroît de professionnalisme, entre autres au travers du passage au bio et de la diminution de la dépendance de l'azote pour les éleveurs cela ne suffit pas, comme la multiplication des drames humains et le fatalisme politique régnant dans la profession le prouvent. Une profession aussi présente sur le territoire et stratégique pour l'économie ne peut rebondir qu'en prenant en main son propre destin.
Le corporatisme à l'ancienne ne suffit pas, il est devenu contre-productif en installant aux leviers de commande (fixation des prix, investissemnts lourds, lobbying national ou européen) des administrateurs privés souvent étrangers au monde même qui les légitime ou encore de petits ou gros malins passés maîtres dans l'art de gérer subventions et lobbying. Si les gouvernements surtout s'ils se disent socialistes le veulent bien, une première étape serait donc la reconquête du pouvoir corporatiste qu'on a laissé prospérer hors sol (et pas seulement dans l'agriculture), par ses sociétaires. C'est le seul moyen, par exemple, de faire cesser le petit jeu consistant pour les 2 "majors" français du lait (SODIAAL, théoriquement coopérative et LACTALIS, appartenant au groupe privé Besnier) de faire pression à la baisse sur le prix de la matière première livrée par leurs sociétaires-fournisseurs (en réalité, le prix mondial de la matière c'est-à-dire la poudre de lait qu'ils fabriquent) tout en valorisant hors du périmètre coopératif les dérivés nobles de la production.
Renouer avec une politique d'Etat à moyen terme
En souscrivant inconditionnellement un contrat de libéralisme "européen" que l'arrivée du "bloc de l'Est" européen naturellement client (au sens romain) de l'Allemagne n'a pu que renforcer, les dirigeants français ont commis une grosse erreur dont les résultats se feront de plus en plus sentir (surtout après le Brexit que la pratique du "couple" germano-français a largement provoqué). L'Allemagne, théoriquement écologiste, est restée dans les faits largement protectionniste et a une tendance naturelle à la concentration économique ; elle maîtrise aussi un marché beaucoup plus large. Comment expliquer autrement qu'on mange de plus en plus de viande allemande en France et que les aléas de la politique extérieure française à l'Est semblent faire davantage souffrir les agriculteurs ..français ? L'Etat est aux abonnés absents pour le monde agricole, répondant aux demandes de politique de fond du monde agricole par les rituelles avances de trésorerie qui ne font qu'accroître son endettement. C'est la politique UEsque du tout financier c'est-à-dire du veau d'Or, qui est à la base de tout cela.
Echapper à la spirale de la surproduction ?
En contribuant à la dépendance de notre agriculture par rapport aux marchés au travers de négociations avec les pays producteurs et subventionneurs d'Amérique, en aggravant son endettement, en favorisant la désertification des territoires sous prétexte de "rentabilité" d'opérateurs privatisés, en faisant passer des considérations discutables de politique internationale avant les intérêts durables de notre économie, nos gouvernants ont pris de gros risques. La maîtrise de la surproduction (ou de la sous-production) agricole est en effet incompatible avec le libéralisme et le libre-échangisme forcenés : on ne peut à la fois toujours faire plaisir à la grande distribution et aux Américains, demander sans cesse aux agriculteurs de changer de pied aux prix de nouveaux investissements et asseoir leur profession sur des bases solides, dynamiques et programmées. C'est donc notre politique extérieure, en ce compris notre rapport à l'UE, qui doit être la variable, non notre agriculture, épine dorsale de notre autosuffisance alimentaire, de nos exportations directes et induites (produits agro-alimentaires et technologies), de notre paysage aussi donc de notre tourisme.
L'humour délicat de la Commission...nous, on dirait plutôt "de la fourchette à la fourche !"
Hélas, notre petit doigt nous dit que l'on veut déjà recourir à des quotas...de production en subventionnant temporairement les éleveurs laitiers pour qu'ils produisent moins. La catastrophe humaine sans profit économique est assurée si l'on choisit cette voie qui ne pourra qu'interdire une bonne reconversion de l'Agriculture. Mais le raisonnement est technocratique et à courte vue. Il sera donc vraisemblablement mis en oeuvre, en totale opposition avec la nécessité de revenir à une agriculture d'exploitations moyennes, responsables et de qualité bio, occupant des professionnels amoureux de leur métier et de la Nature et dans la logique des fermes de 1000, 2000 ou 3000 vaches exploitées par des sociétés anonymes indifférentes à l'humain et à l'écologie. L'UE singeant les USA ou le Brésil, quel progrès !
N'oublions pas l'essentiel : le choix d'un modèle qualitatitif praticable pour les agriculteurs impliquant au moins en partie le "passage au bio"est important au niveau des habitudes de consommation mais surtout de ses implications indirectes par le renoncement aux entrants extérieurs à la production (azote et dérivés en particulier). C'est pourquoi les inconditionnels de l'UE telle qu'elle est et qui voudraient la verrouiller en formalisant le proto-fédéralisme actuel, doivent se poser une question : un modèle qualitatatif pour la consommation de 500 millions de gens est-il compatible avec une UE largement inféodée pour des raisons à la fois financières et géostratégiques aux USA lesquels sont encore loin d'avoir renoncé au modèle productiviste et ont besoin d'exporter ? A l'heure actuelle, le Président de la Commission et celui du parlement viennent de pays qui n'ont nul intérêt à ce que les choses changent...alors quand l'UE subventionnera par exemple la déshydration des fourrages, on aura compris qu'une hirondelle vient d'arriver.
Reprendre en main les circuits commerciaux
La France est naturellement un pays de grandes entreprises commerciales et financières, du fait sans doute d'une tendance historique et d'ailleurs explicable à la centralisation. Cela peut être un avantage, ce peut être aussi un gros inconvénient, quand la surpuissance de la grande distribution conduit au mépris de toute réflexion écologique de fond à vendre à contre-saison des produits importés à grands frais du monde entier mais achetés à des prix ridiculement bas, à commercialiser du second choix comme étant du premier, à vendre par rayonnages entiers des produits laitiers dont le marketing revient infiniment plus cher que la matière première. C'est économiquement, écologiquement, socialement aberrant mais il suffit d'arpenter les allées de n'importe quel supermarché pour le vérifier. Tant que "Bercy" sera dominé par une technocratie budgétariste raisonnant à court terme plutôt que par des spécialistes de l'industrie, de l'agriculture et de la recherche disposant d'une vue prospective et globale, tout cela ne changera pas, car les "budgétaires" sont beaucoup plus sensibles au lobbying que les ingénieurs et ils raisonnent par définition à court terme. Ici aussi on a mis la variable ( l'organisation des services de l'Etat) à la place de la constante (la résilience de notre agriculture au travers d'une évolution programmée). Dès lors l'équation devient impossible à résoudre, comme on peut d'ailleurs le constater depuis des décades.
C'est pourquoi se contenter de tirer gentiment les oreilles à la grande distribution, qui vend par exemple le lait "bio"- strictement de même composition - beaucoup plus cher que l'autre, n' aucun sens. Laisser les grands groupes laitiers (ou de nourriture animale, ou d'eaux minérales) prospérer sans jamais leur présenter la facture des conséquences dévastatrices de leur marketing pour la santé, l'hygiène, l'utilisation des ressources planétaires ou l'agriculture, non plus.
Quand on parle des gaspillages du service public, qui existent bien sûr, ils ne pèsent guère par rapport à cet état de choses auquel nous nous sommes tellement habitués qu'on finit par le trouver normal juqu'au jour où certains "pètent les plombs"...c'est donc à eux qu'on donne tort.
Contractualiser et revenir à la sagesse
Le terme un peu galvaudé de Grenelle s'appliquerait bien ici, d'autant plus que les deux ministères de l'Agriculture et de l'Instruction Publique (pardon, de l'Education Nationale) sont voisins. Mais à quoi sert de faire se rencontrer des gens, aussi intelligents soient-ils, si leur vision (Einstellung, diraient nos cousins germains) n'évolue pas ou qu'ils ne chaussent pas d'autres lunettes ? La problématique de l'Agriculture française est certainement soluble ou tout au moins amendable dans le sens positif. Encore faut-il qu'on accepte de dialoguer avec tous les milieux agricoles, de considérer que leur devenir bien réel vaut toutes les fariboles européennes, non seulement socialement mais parce qu'il n'est pas de grand pays sans une agriculture puissante. Les USA l'ont bien compris, qui pratiquent la vente forcée du libre-échangisme (grâce à l'OTAN entre autres, dont l'UE mendie le service) aux autres et assurent la protection... de leurs propres agriculteurs.
En finir avec l'idée fruste et dépassée mais vivace sur les bancs de la prep'ENA, que tout se règle en tripotant le joystick fiscal à coups de subventions, d'avantages fiscaux et de taux d'imposition différenciés, au risque de s'enfermer dans un cercle vicieux de complexification-simplification dont seuls les contribuables disposant d'équipes de juristes et de fiscalistes peuvent se sortir, voire tirer des rentes de situation au mépris de l'égalité réelle des chances économiques....l'Administration voyant les entreprises à sa propre image, en somme. Mais le joystick ne sert de rien s'il n'y a plus de pression dans le vérin ou que le circuit est rompu, cela tout agriculteur le sait et alors... il répare son tracteur.
Encore faudrait-il, une fois encore, que les priorités s'inversent à Bercy et donc que l'économie du développement durable, celle du XXIème siècle, soit comprise, affinée, précisée et si possible programmée. Car le métier de la Terre, paradoxalement, implique qu'on ne peut faire de celle-ci ce que l'on veut, quand on veut et où on veut : c'est pour l'avoir cru et même obligé, dans une certaine mesure, les agriculteurs (subventions contre production ou non-production) à le faire en oubliant leur sagesse séculaire au bénéfice d'un productivisme idiot, qu'on en est arrivé là : laisser le marché "faire la loi", c'est pratiquer la politique du fil de l'eau. Ce n'est donc qu'en contractualisant les préoccupations des uns et des autres et en les inscrivant dans un cadre volontariste et stable qu'on pourra commencer à envisager des jours meilleurs. Nos paysans, mais aussi nos techniciens, financiers et cadres de l'agriculture le méritent, la France aussi.
...et à bientôt pour de nouvelles réflexions!