Voici un peu moins d'un an, paraissait notre livre "La République des Scribes", une analyse de notre gouvernance actuelle assortie de propositions pour aider notre pays à se sortir de l'ornière où la maintient une puissante technocratie d'inspiration libérale. La prise de conscience écologique du grand public amène les cercles dirigeants à tenter de surfer sur la vague mais avec la ferme intention, sitôt les aléas électoraux dépassés, de retourner à leur vieille doxa.
Dans ce contexte, nous proposons ici au lecteur notre chapitre consacré aux nécessaires évolutions écologiques, que le fameux livre "Limits to Growth" a dessinées depuis longtemps. Le développement durable est devenu aujourd'hui le bien de tous mais le sujet essentiel reste la volonté politique nécessaire pour l'intégrer dans une action globale, capable de donner un sens à notre vie de citoyens.
PROPOSITIONS ENVIRONNEMENTALES
Les atermoiements gouvernementaux le prouvent, sur des sujets comme Notre-Dame des Landes, la déconstruction des centrales nucléaires ou les conférences climatiques, les idées et préjugés du monde politique résistent bien au puissant mouvement d’opinion qui prend en compte la glissade dangereuse de l’Humanité vers une planète invivable.
Mais il en va de même au quotidien. Ce n’est que sous la pression de l’opinion que le monde politique, à quelques exceptions près, envisage de changer une vision essentiellement fondée sur la consommation, l’évolution du PIB, la concurrence, l’innovation technique pour elle-même, la culture exclusive des marchés dans tous les domaines y compris d’ailleurs…la politique.
Point n’est besoin de rappeler les nombreuses raisons pour lesquelles il en est ainsi et qui ont été résumées dans l’excellent et fondateur ouvrage de chercheurs américains intitulé « Limits to growth », en français « les Limites de la croissance », récemment actualisé et qui démontre de façon convaincante et surtout scientifique que si l’on continue sur les trajectoires actuelles, la croissance de bien-être de l’humanité deviendra tout simplement impossible.
Pour autant, la gestion politique de la planète que ce soit par aveuglement, indifférence ou impuissance, ne prend en compte cette réalité que de façon partielle et très insuffisante. Sur une période de presque 50 ans, les indices relevés confirment la tendance à l’asphyxie du système global par épuisement des ressources et non-gestion des rejets.
La transition écologique ne constitue pas pour nous un paradigme unique par rapport auquel toute considération de nature sociale ou de défense devrait être éliminée car dans une vision de gauche d’autres exigences, en particulier celle de justice sociale, doivent également être défendues ne serait-ce que, précisément, pour imposer le changement de paradigme. Cependant il reste absolument essentiel et à ce titre ne saurait être subordonné à aucun autre, quel que soit le prétexte invoqué.
On ne saurait en particulier invoquer à l’instar du Président Trump le développement économique par lui-même comme une bonne raison pour éviter le tournant écologique, ni le fait que des puissances importantes donnent le mauvais exemple. Ou encore le fatalisme qui veut qu’on ne saurait rien réussir en-dehors d’une Europe marchande , l'UE, relevant pour l’essentiel du mythe dès qu’elle veut s’ériger en puissance politique, ce qui est d’ailleurs logique.
Comme toujours, la politique à mener ne pourra éviter certains arbitrages en particulier dans le temps mais à la différence de ce qui a été fait jusqu’à présent il faut éviter le double langage ou des calendriers techniquement flous. Il faut aussi éviter que les mesures prises ne soient pas homogènes par rapport à l’ensemble des citoyens.
Il faut enfin et avant tout mener les politiques de désarmement énergétique, commercial, communicationnel de façon cohérente en évitant par exemple de se rendre dépendants de zones économiques ou politiques constituées (par exemple les USA ou la Russie) qui refusent par définition un recalibrage des priorités en faveur de la transition énergétique et écologique en se fondant sur un paradigme purement économique ou national.
Les logiques impossibles
Ainsi, l’actuelle Union Européenne est fondée de façon prioritaire sur les principes de la concurrence libre et non faussée, le Libre-échange sanctionné par des Traités avec des pays productivistes refusant assez largement ou totalement les principes du développement durable. Elle s’est de plus rendue pratiquement et durablement dépendante du système de défense de l’OTAN et restera par conséquent dans l’obédience des Etats-Unis, pour lesquels une négociation est toujours globale et musclée.
Dans ces conditions, il est vain selon nous d’espérer, si l’on se borne à une voie européenne entendue comme celle de l’UE actuelle, avancer rapidement ou même significativement vers des objectifs vertueux. On risque même, au travers de nouveaux traités libre-échangistes, de faire marche arrière.
Dans la pratique cela veut dire que la France doit garder suffisamment d’autonomie politique et économique pour avancer de façon indépendante, ce qui pose inévitablement des exigences supplémentaires dans la conduite de sa politique économique et de sa politique tout court. Cela veut dire aussi que tout modèle fondé peu ou prou sur la sujétion à un serpent monétaire pose des contraintes telles qu’aucun pari écologique ne peut être entrepris. Le choix français pour le nucléaire implique de surcroit des durées considérables, de l’ordre du siècle, pour changer de paradigme énergétique.
Une incohérence fondamentale
La situation d’autres pays apparemment plus vertueux comme l’Allemagne ou la Norvège, ne résiste pas non plus à l’analyse. S’ils joignent moralement les deux bouts, c’est dans le premier cas en important de l’énergie nucléaire ou de l’énergie tirée de ressources fossiles par d'autres pays. Et dans le second, grâce aux revenus tirés de l’exportation massive d’hydrocarbures et ce dans un contexte environnemental très risqué.
Et encore ne s’agit-il là que de l’aspect énergétique car les gaspillages énormes sur lesquels se fondent nos économies en matière d’alimentation, de traitement de l’eau, de transports et auprès desquels les pertes de « rendement » imputées aux administrations publiques et même les montants colossaux consacrés à la Défense et au commerce d’armes pèsent peu, continuent de plus belle.
A noter que la dépense publique finance très largement le profit privé puisqu’elle doit se charger, au titre du citoyen et contribuable, d’éliminer avec un succès très relatif des masses immenses de ces résidus que le libéralisme et son compère le libre-échangisme ont contribué à faire naître en première instance au niveau du consommateur.
Comment ? En fouettant la consommation, les échanges, les besoins artificiels et de façon générale en adoptant directement ou indirectement la vision des choses des états vastes et « positivistes » : USA, Canada, Brésil, Russie, Australie. Se rendre au travers du tropisme libéral dépendants d'accords avec ces pays sans exiger de contreparties sérieuses pour la sauvegarde de la Planète, c'est bien sûr illustrer le vieux principe économique "la mauvaise monnaie chasse la bonne".
Dans ces conditions, nous aurions grand tort de rire de Maître Cornille qui dans les « Lettres de mon Moulin » d’Alphonse Daudet, rachetait lui-même au marché la farine des pierres qu’il broyait au moulin, sa farine de blé n’étant plus compétitive.
Nous devons d’abord compter sur nous-mêmes
Tout en participant à l’effort global par sa technologie, sa recherche et la diffusion de sa culture, la France doit donc compter principalement sur elle-même. Elle doit développer une stratégie publique, cohérente tant sur le plan politique que social et économique. C’est que, nous l’avons vu, nous ne saurions nous enfermer dans une bulle écologique sans tenir compte des autres facteurs qui viendront nécessairement interférer avec elle dans une démocratie ou en cherchant à concilier le credo de l’Europe des Marchands avec celui d’une planète respectée. Tâche impossible : autant vouloir marier la carpe de nos étangs et le lapin des piles Duracell.
Notre approche est donc radicalement synthétique. Ce n’est pas « Rien que l’écologie et à travers l’UE » mais « Faire progresser de front notre culture alternative et le partage social dans un développement vertueux et coordonné, à l’échelon planétaire ». Qu’est-ce à dire ?
Tout d’abord, qu’il faut commencer, avec l’appui des citoyens eux-mêmes, par éliminer progressivement de notre société les dérives économiques contraires à un développement durable. Parallèlement les processus politiques qui contraignent certains agents économiques à des comportements anti-écologiques doivent être détectés et combattus, par exemple dans le domaine agricole.
Il faut ensuite étendre l’action à de nouveaux domaines intellectuels et à nos espaces géographiques puis nous coordonner avec les pays proches par la géographie, l’histoire et surtout la culture.
Enfin qu’il nous faut ordonner, planifier tout cela et contrôler l’exécution de notre démarche.
Balayer devant notre porte
C’est susciter et accompagner les initiatives citoyennes qui pour l’instant portent une large partie de l’effort de transition. On passe ainsi de l’acte de contrition du consommateur à la micro-écologie. L’efficacité ou la rationalité n’est pas toujours au rendez-vous mais l’on crée ainsi les conditions du changement
L’urbanisme, facteur essentiel dans la lutte contre le gaspillage des ressources énergétiques, humaines, environnementales et aussi de risques de santé, de sûreté ou catastrophiques reste encore et toujours négligé. Il en va ainsi quand l’on continue à alimenter la triade « tours de bureaux-quartiers résidentiels-zones urbaines populaires » ou à démolir systématiquement, sous prétexte d’une "rentabilité" illusoire, le maillage des transports publics régionaux et locaux.
C’est aussi respecter les filières et démonter leur logique sans s’en prendre systématiquement aux agents qui ne font le plus souvent que répercuter des politiques erronées. Ainsi, la profession agricole est-elle en première ligne pour les changements à effectuer. Mais dans le cas français, elle est prisonnière de logiques impulsées au niveau européen. Or ce sont les causes qu’il convient de combattre plutôt que les effets. Dès lors, vouloir « bétonner » une Europe des Marchands va à l’encontre du but recherché au lieu de le servir.
L’histoire du développement durable doit nous faire rechercher dans la géographie et l’histoire de notre pays des logiques vertueuses sur lesquelles nous appuyer, ce qui implique de donner une place suffisante aux enseignements correspondants et à les associer aux nouvelles démarches. Nos territoires d’outre-mer, par exemple, recèlent de remarquables richesses et savoirs coutumiers encore très peu exploités, alors qu’un couplage organisé avec nos capacités de recherche pourrait être très bénéfique à l'ensemble de la Nation et au monde en général.
Côté Histoire, souvenons-nous que le tourisme, les relations économiques avec nos anciennes colonies, l’export de services liés à notre culture, la qualité de nos architectures et le prestige de nos universités ou de nos transports, tout cela s’est construit au cours des siècles avec nos rois mais aussi nos empires et nos républiques à l’époque où ils menaient de vraies politiques.
Et posons-nous la question de savoir si on peut toujours consommer le patrimoine sans jamais investir pour le reconstituer ou en créer ou s’imaginer que nos affaires prospéreront mieux dans le pré carré des autres. Le réalisme, c’est justement de ne pas chercher midi à quatorze heures avec la laïcité en Suède ou la vente de nos voitures en République tchèque…
Inventer de nouvelles voies
- L’espace dont notre pays dispose dans le monde et sa présence sur tous les continents, sa maîtrise relative des processus nucléaires, son potentiel culturel partagé avec de nombreux pays du globe devraient en faire un acteur majeur du développement durable, capable de dialoguer avec des états (US, Canada, Australie, Brésil) que leur immensité et leur faible densité peut rendre rétifs à l’effort commun au service de la planète.
- L’architecture ouvre de son côté des voies nouvelles pour optimiser la vie en commun, le travail, les activités culturelles, le tourisme. Il importe d’en soutenir la créativité qui sera également une ressource économique importante, dans mais aussi à l’extérieur de l’hexagone.
- La nécessité d’une coordination globale importante se fait jour. Le Ministère de l’Ecologie devrait devenir... durablement un Ministère d’Etat ayant un poids majeur dans l’action gouvernementale. Il faut cesser par exemple d’autoriser un pillage très mal contrôlé de nos ressources dans nos DOM-TOM et nos ZEE suite à une vision étriquée que cultive inévitablement un méga-ministère piloté par des super-comptables.
- Inventer de nouvelles voies, c’est par exemple donner à notre Marine les moyens de contrôler et de protéger un espace énorme dont les ressources halieutiques ou minières, exploitées grossièrement, finissent par aboutir avec une succession de marges commerciales dans nos assiettes, nos voitures ou nos avions sans que nous intervenions dans le circuit et au prix de dommages considérables à la planète. Et développer notre marine, c’est aussi développer notre influence et notre industrie comme le rappelle le vieil axiome « Le trident de Neptune est le sceptre du Monde »
- Rassembler nos forces sur la planète. La valorisation et la protection des ressources marines, c’est aussi une formidable opportunité d’échanges et de développement avec de nombreux pays liés de près ou de loin à la communauté francophone qu’il faut convertir en une sphère de développement économique et culturel en s’appuyant sur nos DOM-TOM mais aussi sur nos partenaires européens ou non : Madagascar, Maurice, Vanuatu, Comores, RSA, Surinam, Viêt-Nam et pays voisins, Australie etc. Des structures de coopération existent bien sûr déjà mais il s’agirait ici de projets beaucoup plus précis, plus larges et offensifs.
- L’investissement massif et programmé devrait concerner la recherche, la protection des milieux naturels par exemple contre la montée des eaux, la gestion de leurs ressources éventuelles, les projets porteurs de développement au bénéfice de leurs populations.
A l’arrivée, on le voit, un gros effort non seulement d’imagination mais de coordination doit être mené au service d’une diplomatie combative, d’une défense positive et de nos industries, le tout servi par une volonté politique forte, à décliner en deux échelons.
- Un sous-programme francophone. La transformation de la francophonie en une sphère de développement vertueux peut permettre de constituer une alternative avec l’éventuelle politique environnementale de l’UE si elle existe un jour, ce qui est d’ailleurs peu vraisemblable. On peut constater en effet que la politique des gouvernements tend plutôt à faire récupérer les priorités écologiques par les concepts marchands, car c’est sa logique interne qui est à l’œuvre.
- Une planification générale et contraignante, décidée au niveau législatif et non gouvernemental on le voit ici aussi, est absolument indispensable et la participation de la France à l’UE ou à d’autres organisations internationales ne saurait servir de prétexte à des atermoiements sous les prétextes les plus divers. Mieux vaut des objectifs prudents et réalistes auxquels chacun peut souscrire que des promesses que les prétendues « réalités » viennent immédiatement infirmer.
Une loi-programme qui intégrant l’ensemble des facteurs examinés, qui pourrait remettre le développement durable au cœur de notre quotidien. Son contenu, articulé en trois volets, pourrait être le suivant :
- Défense, valorisation et création des patrimoines matériels et culturels ; découverte des nouvelles bases d’un développement durable ; soutien au monde associatif promouvant les mêmes objectifs de façon réellement objective. Lutte contre les lobbies visant à défendre ou promouvoir des pratiques néfastes à court ou moyen terme pour la Transition écologique.
- Articulation urbanisme/environnement identifiant les nuisances et les intégrant dans un nouvel urbanisme. Construction d’un cadre légal pour les entreprises. Détection des dispositions législatives françaises ou étrangères susceptibles par leurs conséquences de faire obstacle au projet de Développement vertueux, en particulier au niveau de l’UE, par exemple au travers d’une section spéciale du Conseil d’Etat.
- L’intégration de ces deux pôles dans une programmation contraignante de développement économique et culturel prenant en compte les objectifs mondiaux du développement durable. Un Ministère d’Etat indépendant assurerait le pilotage en intégrant celui des outremers, ses partenaires principaux étant la Défense et la Culture, elle-même fusionnée avec la Francophonie.
L’Ecologie est on le voit, une nouvelle culture qu’il s’agit d’intégrer dans la nôtre comme le firent nos rois urbanistes et avant eux les Romains, les Egyptiens, les Chinois ou les Persans. Et Rome ne fut pas faite en jour. Cependant, notre planète ne saurait attendre et la France, pour réinventer un nouveau modèle de développement comme pour la propagation des droits de l’être humain, ne peut continuer à rester au niveau d’un discours que de plus en plus souvent la pratique vient démentir. Les jardins partagés, le vélo c'est très bien, c'est même indispensable. Mais c'est encore très loin, au plan local comme au plan national, de constituer une politique claire, planifiée et partagée.
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