René n’était pas facile à convaincre. Pourquoi ? Parce pour lui l’engagement politique n’était ni de circonstance ni d’intérêt ni d’ambition. Il était à mille verstes de ce cynisme, enfant mal venu de la technocratie et de l’hubris, que certains admirent tant aujourd’hui et qui se vend bien. Non, il était fait de sincérité, de bon sens, d’exigence de justice sociale et d’amour du prochain : j’utilise à dessein cette expression du vocabulaire religieux car qu’est-ce qui peut pousser un athée à travailler pour les autres si ce n’est l’amour désintéressé puisqu’il n’espère aucune récompense céleste ni ne craint aucune punition ?
Il fallait donc « passer la barre » de son jugement humain, non assisté par les préjugés des autres. Mais une fois la barre passée, il m’a donné la clé d’un coffre-fort plein de belles richesses : l’engagement sans failles, la fidélité, la force de conviction mais aussi le courage de se battre en interne pour obtenir ce qui lui paraissait juste et raisonnable. Bien sûr comme tous ses amis, j’ai cherché à mieux le comprendre, le connaître. Ma quête fut riche : il m’a raconté la dureté des conditions de son enfance, son apprentissage, les bancs de l’Ecole et l’ambiance qui pouvait qui pouvait prévaloir en milieu rural au sortir de la guerre, en Corrèze.
Il y a eu le Parti, un évènement majeur dans la vie de tout communiste parce qu’une ou un communiste tout au moins à l’époque, s’engageait vraiment et souvent définitivement. Puis il y a eu l’entreprise et la relation au patron, le Syndicat. Il me racontait tout cela en m’accueillant un peu à la paysanne c’est-à-dire simplement, chaleureusement et en me racontant force anecdotes savoureusement distillées dont l’une était celle du dénichage des pies, à laquelle on pourrait aussi trouver un sens symbolique. Et pour mieux apprécier tout cela, la dégustation charnelle d’un pâté maison.
Au travers de tout cela j’ai vu apparaître un homme qui en même temps, mais dans un en-même-temps profondément sérieux et responsable, si responsable que le fardeau devait parfois lui paraître bien lourd, avait trois facettes dans sa vie : la vie du militant épris de justice et d’idéal, la vie d’un homme aimant profondément sa famille et la vie en entreprise car pour lui l’engagement syndical ne remplaçait pas la valeur ajoutée et l’amour du travail bien fait à l’usine.
Là aussi je me souviens de Bronzavia et de la responsabilité qui pèse sur le soudeur de précision quand il fixe une ailette à la turbine d’avion : elle ne doit plus jamais se détacher, ou alors…c’est comme l’amitié. René c’était pour moi trois vies en un seul homme. Et comme si cela ne suffisait pas, il en a rajouté et j’en suis un peu coupable, une quatrième, celle d’élu.
Elu maire-adjoint, délégué au développement de la vie sociale des plus anciens et au Souvenir, il lui a d’abord fallu se libérer ce qui n’était sans doute pas simple pour lui, ce réflexe de sujétion hiérarchique qu’il avait pu éprouver en entreprise, en syndicat ou au Parti. Car dans une municipalité qui fonctionne bien -tout au moins est-ce ma vision des choses – le maire doit absolument essayer de décentraliser son action et de faire confiance à ses principaux lieutenants, à charge pour eux de démontrer que cette confiance est justifiée. Inutile de le préciser, dans son cas je dormais sur mes deux oreilles. Sa parole une fois donnée, jamais il ne la démentait même s’il lui fallait batailler pour lui être fidèle avec des analyses différentes, pour employer un terme cher à nos camarades.
Mais surtout son guide, son aiguille aimantée, c’était le bien des gens. Il se moquait de savoir si ceux qui bénéficiaient de sa présence, de son soutien, de son action avait les bonnes idées, pas encore ou pas du tout. Il ne pensait qu’à les aider si cela dépendait de lui. Au diable, la recherche intéressée des voix de gens dont on n'a fondamentalement rien à faire, la prostitution politique de gens qui ne croient pas à la politique mais seulement au pouvoir, l'hypocrisie nourrie par l'inculture. Le calcul et le manque d'honneur, ce n'était pas ton trip.
La vie n’a pas été tendre avec toi, Cher René et elle ne t’a pas fait beaucoup de cadeaux. Toi par contre, mon ami, tu as fait des largesses de tout ce que tu avais pu posséder et acquérir : ton expérience de la vie, ton courage, ton humour parfois percutant, ta formidable conscience professionnelle, ton sens aigu de la justice sociale et de la justice en général, ton sens politique aussi qui t’a fait peser pour prendre les bonnes options au bon moment parce que tu n’as jamais perdu de vue une chose essentielle.
Cette chose c’est que la liberté c’est de pouvoir à tout moment choisir entre deux options, d’avoir un aller-retour en poche et non un aller simple pour une option politique, quelle qu’elle soit. Encore faut-il que celles et ceux qui défendent celle qu’incarne la gauche, apportent une contribution concrète et de qualité. Tu savais qu’on ne peut se tromper si l’on suit ce chemin et tu l’as toujours arpenté, de ton pas de paysan corrézien devenu ouvrier, cadre technique, syndicaliste et élu de terrain. Et de père de famille.
Au revoir peut-être, René. Tant que je vivrai en tout cas, ton beau sourire qui était la fenêtre de ton âme illuminera toujours mes pensées et personne ne pourra le reprendre.
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